Découvrir de nouvelles étoiles fait partie de la routine pour les astronomes, qui disposent aujourd’hui d’une pléthore d’instruments remarquablement performants. Mais il arrive tout de même que certaines sortent du lot, avec des caractéristiques singulières qui nous aident à trouver des pièces manquantes du grand puzzle de l’Univers. Et c’est précisément ce qui est arrivé récemment à une équipe de l’Université de Floride. Ces chercheurs ont découvert une énorme étoile dont la composition chimique complètement inattendue défie les modèles actuels.
Si l’objet en question, appelé J0524-0336, a attiré l’attention des chercheurs, c’est d’abord à cause de son gabarit impressionnant. Cet astre situé à environ 30 000 années-lumière de la Terre est environ 30 fois plus grand que notre Soleil, ce qui le place dans la catégorie des étoiles géantes. Mais c’est loin d’être un record. Par rapport aux mastodontes comme UY Scuti, une étoile dite hypergéante environ 1700 fois plus grande que la nôtre, J0524-0336 passe même pour un gringalet.
Une étoile qui déborde de lithium
Mais le vieil adage selon lequel la taille ne fait pas tout est aussi valable en astronomie ; dès qu’ils ont observé leur nouvelle trouvaille de plus près pour déterminer sa composition chimique, les chercheurs ont vite réalisé qu’ils avaient affaire à une étoile pas comme les autres. En effet, les analyses spectroscopiques ont révélé qu’elle était incroyablement riche en lithium.
« Nous avons découvert que J0524-0336 contient 100 000 fois plus de lithium que le Soleil à son âge actuel », explique Rana Ezzeddine, professeure adjointe d’astronomie à l’Université de Floride et co-auteure de cette étude.
Si cette abondance de lithium est aussi surprenante, c’est parce que cet élément s’est formé en petites quantités lors du Big Bang. Il est donc relativement rare dans l’univers par rapport à l’hydrogène ou à l’hélium, par exemple. Mais surtout, sa concentration ne fait que diminuer au cours de la vie de l’étoile.
Lorsqu’un astre arrive à maturité, il rejoint ce qu’on appelle la séquence principale, où l’hydrogène commence à fusionner pour former de l’hélium. Ce processus a tendance à entraîner le lithium vers le cœur de cette immense fournaise thermonucléaire, où il est rapidement détruit. Par conséquent, lorsqu’une étoile est aussi vieille que J0524-0336, qui approche du crépuscule de sa vie, on s’attend à ce que la concentration en lithium soit très faible. Or, c’est exactement l’inverse dans ce cas précis.
Du cannibalisme… ou un nouveau mécanisme jamais identifié ?
Avec son collègue Jeremy Kowkabany, l’astronome a formulé plusieurs hypothèses pour tenter d’expliquer cette concentration si invraisemblable qu’elle sort largement du cadre théorique actuel. Quelques pistes convaincantes ont émergé de ce brainstorming.
La première explication possible repose sur une source externe. En effet, la théorie suggère que les étoiles aussi larges et anciennes que celle-ci peuvent dévorer d’autres corps célestes comme des planètes ou de petites étoiles, et assimiler leurs éléments chimiques par la même occasion – un violent épisode de cannibalisme, en somme. Si l’un de ces objets vagabonds était particulièrement riche en lithium, cela aurait pu se répercuter sur la composition de J0524-0336.
Les autres pistes se focalisent sur des mécanismes internes de l’étoile. Il est possible que J0524-0336 ait atteint un stade de son cycle de vie qui n’a jamais été observé jusqu’à présent. Elle pourrait donc être sujette à ce que les auteurs appellent un “flash de lithium“. Il s’agit d’ un événement encore assez mal documenté pendant lequel un astre se met temporairement à produire de grandes quantités de lithium à partir d’un isotope de l’hélium, à travers ce qu’on appelle le mécanisme de Cameron-Fowler.
Mais cette abondance de lithium pourrait aussi provenir d’un processus radicalement différent et totalement inconnu des astrononomes. « Cette quantité de lithium défie les modèles dominants sur l’évolution des étoiles et peut suggérer un mécanisme jusqu’alors inconnu de production ou de rétention de lithium dans les étoiles », indique Ezzeddine.
Le cas échéant, il s’agirait d’une découverte importante qui pousserait toute la discipline à reconsidérer la fin de vie d’un tas d’étoiles, avec des conséquences potentiellement profondes pour les modèles cosmologiques globaux.
De nouvelles observations à venir
Pour faire la lumière sur cette affaire, les deux chercheurs prévoient de continuer à observer l’étoile. Ils espèrent notamment pouvoir mettre en place un programme de surveillance en continu pour suivre les changements de composition de l’étoile au cours du temps. Ils tâcheront aussi de déterminer si elle a tendance à éjecter du matériel. Que ce soit le cas ou non, la réponse jouera sans doute un rôle important dans la résolution de l’énigme.
En effet, s’ils observent une accumulation de matière dans le disque de poussière qui entoure l’étoile (on parle de disque circumstellaire), cela pointerait vers une interaction avec une autre étoile. Mais l’autre piste est encore plus excitante. « Si nous n’observons pas un tel disque, nous pourrions conclure que l’enrichissement en lithium est dû à un processus encore totalement inconnu qui se déroule à l’intérieur de l’étoile », résume Ezzeddine.
Il conviendra donc de suivre ce feuilleton jusqu’à sa conclusion pour savoir si J0524-0336 a bénéficié d’une transfusion de lithium au cours de sa vie, ou si elle est le théâtre d’un tout nouveau phénomène qui pourrait bouleverser notre compréhension du cycle de vie des étoiles.
Le texte de l’étude est disponible ici.
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