Des chercheurs de l’université britannique de Durham, au Royaume-Uni, ont récemment décrit un fossile absolument exceptionnel qui se distingue à la fois par sa rareté et sa place importante dans l’histoire évolutive de notre planète.
L’objet en question a été découvert dans la formation du Yuanshan, un gisement réputé pour avoir produit certains des fossiles les plus importants de l’histoire de la paléontologie. Mais il aurait facilement pu passer inaperçu, car il ne paye pas de mine. Il s’agit simplement des restes d’un minuscule ver juvénile de la taille d’une graine de sésame. Il est loin d’être aussi spectaculaire que les majestueux crânes d’anciens superprédateurs qui ont été exhumés dans d’autres région.
S’il s’agit d’un véritable joyau pour les chercheurs, c’est d’abord à cause de son âge. Le fossile a été daté à environ 520 millions d’années. C’est loin d’être un record dans l’absolu, puisque nous avons déjà retrouvé des fossiles de stromatolites (des formations géologiques créées par les tout premiers organismes photosynthétiques) âgés d’environ 3,5 milliards d’années. Mais ce n’est pas le chiffre en lui-même qui est important. Ce qui compte, c’est plutôt la période à laquelle il renvoie – et c’est là que l’enthousiasme des chercheurs prend tout son sens.
Un rescapé de l’explosion cambrienne
En effet, il y a 520 millions d’années, la Terre venait d’entrer dans la période du Cambrien, et plus spécifiquement dans ce que l’on appelle l’explosion cambrienne. Il ne s’agit pas d’une vraie détonnation; ce terme fait référence à une époque oùla biodiversité a connu une explosion sans précédent, avec l’apparition d’un nombre inédit de formes de vie complexes qui sont devenues les ancêtres d’une grande partie des espèces que l’on connaît aujourd’hui.
Et ce petit animal est un excellent représentant de cette période charnière. En effet, il appartient à une espèce d’euarthropode jamais documentée auparavant, désormais appelé Youti yuanshi. Il fait donc partie des ancêtres des araignées, des crabes et des insectes modernes, qui représentent ensemble plus de 80 % de la biodiversité totale de notre époque.
« Quand je rêvais du fossile que j’aimerais le plus découvrir, je revenais toujours à une larve d’arthropode, car les données sur le développement sont essentielles à la compréhension de leur évolution », se réjouit Martin Smith, paléontologue à l’Université de Durham et auteur principal de l’étude publiée dans la prestigieuse revue Nature.
Un spécimen parfaitement préservé
Les chercheurs ont donc vite compris qu’ils venaient de tomber sur un objet très précieux. Ils ont toutefois tâché de mesurer leur enthousiasme pour éviter une amère désillusion. Ces spécimens très anciens ont tendance à être assez mal conservés, limitant considérablement la quantité d’informations que l’on peut en extraire. Mais cette fois, la chance leur a souri : l’équipe est tombée à la renverse quand elle a réalisé à quel point l’état de conservation de leur dernière trouvaille était extraordinaire.
« Les larves sont si petites et fragiles que les chances d’en trouver une fossilisée sont pratiquement nulles — du moins c’est ce que je pensais. Je savais déjà que ce fossile en forme de ver était quelque chose de spécial, mais quand j’ai vu les structures étonnantes préservées sous sa peau, ma mâchoire en est tombée. Comment ces caractéristiques complexes auraient-elles pu éviter la décomposition et être toujours là, visibles un demi-milliard d’années plus tard ? », se demande Smith, visiblement stupéfait. « La fossilisation naturelle a atteint une préservation presque parfaite », renchérit sa collègue Katherine Dobson.
Une incroyable fenêtre sur l’histoire du vivant
Pour couronner le tout, cet euarthropode a été figé à un stade de son cycle de vie qui est très rarement représenté dans les fossiles. Là encore, c’est une excellente nouvelle. Cela signifie qu’à lui tout seul, ce petit fossile peut donc nous apporter une quantité formidable d’informations très précieuses. Selon les auteurs, Youti yuanshi va aider les chercheurs à comprendre comment ces petits vers relativement primitifs se sont progressivement transformés en arthropodes beaucoup plus sophistiqués avec des membres spécialisés, des yeux et des cerveaux, pour atteindre le succès qu’on leur connaît aujourd’hui.
En d’autres termes, il comble de vastes lacunes dans nos connaissances du parcours évolutif du groupe le plus dominant de l’ère moderne — avec tout ce que cela implique pour notre compréhension de l’histoire de la vie sur Terre. Il sera donc très intéressant de se pencher sur les autres études que ce petit spécimen va sans doute alimenter.
Le texte de l’étude est disponible ici.
🟣 Pour ne manquer aucune news sur le Journal du Geek, abonnez-vous sur Google Actualités. Et si vous nous adorez, on a une newsletter tous les matins.