Intel traverse en ce moment une période extrêmement difficile, et ce sont ses employés qui s’apprêtent à en faire les frais. Dans un mémo daté de jeudi dernier, l’entreprise a annoncé un plan de licenciement gigantesque, de très loin le plus important de l’ère Gelsinger : l’écurie bleue va se séparer de 15 % de ses effectifs, ce qui représente environ 15 000 personnes.
L’objectif de cette décision drastique, c’est de réduire les dépenses d’environ 10 milliards de dollars pour que la firme puisse retomber sur ses pattes après deux trimestres assez catastrophiques au niveau financier. « Nos revenus n’ont pas augmenté comme attendu », a expliqué le PDG Pat Gelsinger dans son texte. « Nos coûts opérationnels sont trop élevés, nos marges trop faibles. Nous avons besoin de mesures plus audacieuses pour résoudre ces deux problèmes, en particulier compte tenu de nos résultats financiers et de nos perspectives pour le second semestre 2024, qui sont plus difficiles que prévu. »
Les derniers bilans ont en effet été difficiles. Après un premier trimestre sombre marqué par une perte de plus de 400 millions, l’entreprise a déclaré une perte sèche d’1,6 milliard sur le deuxième trimestre. La tendance à moyen terme est aussi inquiétante, avec une courbe qui n’a jamais réussi à se stabiliser sur les deux dernières années. Depuis le deuxième trimestre 2022, l’entreprise a réalisé “seulement” 1,1 milliard de profits cumulés. Cela en fait l’action la moins rentable du S&P 500, l’indice boursier qui suit les performances de certaines des entreprises les plus puissantes des États-Unis.
L’IArbre qui cache la Foundry
Gelsinger attribue cette dynamique problématique à la façon dont l’entreprise a abordé le changement de paradigme qui se joue en ce moment. Il estime qu’Intel a eu du mal à tirer parti du boom de l’IA comme l’ont fait d’autres géants du hardware, à commencer par Nvidia dont les résultats financiers ne cessent de battre des records plus absurdes les uns que les autres. Pour rappel, la semaine dernière, l’entreprise de Jensen Huang a gagné 329 milliards de capitalisation boursière en une seule journée — un record dans l’histoire de Wall Street.
Il faut admettre qu’Intel est resté beaucoup plus discret sur ce terrain — mais cela ne reflète qu’une partie de la réalité. Le vrai gouffre financier d’Intel, c’est la nouvelle branche Foundry, à travers laquelle le géant du hardware compte devenir un producteur de puces majeur (il faisait auparavant produire la majorité de ses chips chez le Taïwanais TSMC).
Foundry est la pierre angulaire de la stratégie de Gelsinger ; le programme devait représenter une transition stratégique à grande échelle et transformer profondément le fonctionnement et la feuille de route de l’entreprise. Le PDG parlait même d’une « reconstruction », avec l’objectif de se positionner sur le long terme comme un acteur majeur du hardware appliqué à l’IA.
Mais pour lancer la machine, Intel a dû consentir à des investissements absolument colossaux, notamment pour la construction d’usines de toute nouvelle génération, dont une fab à 17 milliards en Allemagne. Et puisque toute cette chaîne logistique n’est pas encore mature, les bénéfices se font attendre, et ces dépenses commencent à peser de tout leur poids sur les finances de l’entreprise. Selon The Verge, toutes les pertes sur les deux derniers trimestres sont directement imputables à Foundry.
Intel attendu au tournant
En parallèle, Intel est aussi en difficulté en termes de leadership technologique. La concurrence dans le monde du hardware est aujourd’hui plus féroce que jamais, avec son rival historique AMD qui est sur une excellente dynamique et l’arrivée en force de Qualcomm dans l’écosystème PC. Ses flagships comme l’i9-14900K restent les CPU les plus performants du marché dans l’absolu, mais ils restent handicapés par leur consommation d’énergie médiocre couplée à de sérieux problèmes de stabilité.
Intel sera donc attendu au tournant avec ses prochaines générations de processeurs, à commencer par les nouveaux CPU portables Lunar Lake qui sont attendus très bientôt. Mais plus largement, Foundry va devoir commencer à produire des résultats concrets dans un futur relativement proche. Certes, le programme pourra compter sur le CHIPS Act, l’immense plan de subvention américain à 280 milliards de dollars conçu pour permettre à la tech américaine de « contrer » l’essor technologique chinois ; Intel fait partie des bénéficiaires prioritaires et touchera bientôt 8,5 milliards du gouvernement. Mais l’entreprise ne pourra pas se reposer entièrement sur ces dotations, et il sera donc intéressant de suivre la montée en puissance de Foundry pour voir dans quels délais la stratégie de Gelsinger commencera enfin à payer.
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