Le centre de notre voie lactée est occupé par Sagittarius A*, un énorme trou noir qui rentre dans la catégorie des supermassifs. Mais ce béhémoth n’est pas seul. Il cohabite aussi avec d’autres trous noirs nettement plus petits qui apparaissent à la fin du cycle de vie des astres. Leur masse étant à peu près équivalente à celle d’une étoile, ils ont sobrement été appelés trous noirs de masse stellaire, et certaines études suggèrent que notre galaxie pourrait en contenir des milliards. Mais entre les deux, il existe un véritable trou statistique.
En théorie, on devrait aussi trouver des trous noirs de masse intermédiaire, ou IMBH (pour Intermediate Mass Black Hole). Mais ceux-ci ont tendance à briller par leur absence ; ils semblent excessivement rares et sont très difficiles à repérer. Par rapport aux trous noirs supermassifs, les rayonnements et les forces gravitationnelles qui émanent des IMBH sont plutôt faibles. En outre, contrairement aux plus petits, ils ont tendance à être plutôt isolés. On n’en trouve pratiquement jamais à proximité des rémanents de supernova laissés par la mort cataclysmique des étoiles, et ils sont rarement intégrés à des systèmes binaires. Tous ces facteurs compliquent largement la détection de ces objets qui sont aussi beaucoup moins nombreux dans l’absolu.
La découverte d’un IMBH est donc un événement excessivement rare. À ce jour, les astronomes n’en ont trouvé qu’une petite dizaine dans l’ensemble de l’Univers observable. Et dans notre propre galaxie, le bilan est encore moins reluisant. Seule une poignée d’objets pourraient éventuellement correspondre à cette définition, et les spécialistes se sont souvent heurtés à un mur en essayant de confirmer leur statut. Les données sont généralement trop ambiguës pour pouvoir confirmer rigoureusement qu’il s’agit bien de trous noirs de masse intermédiaire.
Cela a toutefois commencé à changer il y a deux semaines, quand une équipe du prestigieux Institut Max Planck a identifié le candidat le plus prometteur à ce jour dans la Voie lactée — cette fois avec des données très convaincantes à l’appui. Il y a quelques jours, ce sont des chercheurs de l’Université de Cologne qui sont revenus à la charge en présentant d’autres résultats comparables… et potentiellement encore plus intéressants.
Un amas d’étoiles particulièrement mystérieux
Ces nouveaux travaux concernent IRS 13, un amas d’étoiles assez singulier qui a longtemps été un vaste casse-tête pour les spécialistes. Lorsqu’il a été découvert il y a 25 ans, il a d’abord été considéré comme une gigantesque étoile, puis comme un système binaire, puis comme une étoile de Wolf-Rayet. Ce terme désigne une étape transitoire que traversent certains astres extrêmement chauds, massifs et lumineux quand ils approchent de la fin de leur cycle de vie et sont à deux doigts de la supernova.
Plus récemment, des observations plus poussées ont permis de confirmer qu’il s’agissait en fait d’un amas d’étoiles. Mais cette validation n’a pas permis de résoudre toutes les énigmes qui entourent IRS 13, bien au contraire. À la place, elle a fait émerger un tas d’autres mystères, dont un particulièrement épineux.
Pour commencer, il est incroyablement dense ; c’est de loin l’amas le plus compact jamais observé dans la Voie lactée. En outre, il réside à 0,1 année-lumière de Sagittarius A*, le titan au cœur de la galaxie. Et cette proximité exceptionnelle pose un sérieux problème théorique. En effet, à cette faible distance, les forces gravitationnelles sont si intenses qu’un amas de ce genre ne devrait théoriquement pas pouvoir rester cohérent. Il semble donc défier les lois de la physique telles qu’elles sont établies aujourd’hui, et à ce jour, personne n’a réussi à expliquer comment IRS 13 pouvait résister ainsi à l’étreinte du trou noir supermassif.
Un trou noir intermédiaire au service de Sagittarius A*
C’est pour répondre à cette question que l’équipe de Florian Peißker, astrophysicien à l’Université de Cologne en Allemagne, a lancé une nouvelle campagne d’observation. Pour résoudre le mystère, ils se sont intéressés à la dynamique de l’amas, c’est-à-dire la façon dont les étoiles et les nuages de gaz et de poussière se déplacent les uns par rapport aux autres. Ils s’attendaient à ce que ces mouvements soient plus ou moins aléatoires, mais c’est tout le contraire qu’ils ont observé. En réalité, tous les objets se livrent à un ballet étonnamment bien coordonné.
C’est une observation tout sauf anecdotique, car selon l’équipe, la cohérence de l’amas et sa dynamique singulière impliquent forcément la présence d’un autre objet plus massif. Ils ont donc tenté de repérer l’objet en question, et c’est là que ces travaux deviennent vraiment excitants.
Au centre de l’amas, ils ont détecté une source de rayons X, ce qui pointe généralement vers la présence d’un phénomène hautement énergétique. En cherchant sa source, ils ont ensuite observé un anneau de gaz ionisé en rotation très rapide (environ 130 km/s). Cela ressemble fortement à un disque d’accrétion — un vaste disque de gaz et de poussière surchauffé par l’influence gravitationnelle d’un trou noir. Pour finir, l’équipe a calculé la masse de ce mystérieux élément central en se basant sur les trajectoires des autres objets d’IRS 13. Ils ont déterminé qu’elle était de l’ordre de 30 000 masses solaires, et il n’y a qu’un seul type d’objet connu ou théorisé qui pourrait cocher toutes ces cases à la fois : tout indique qu’il s’agit d’un de ces fameux trous noirs de masse intermédiaire.
« Cet amas d’étoiles fascinant a continuellement surpris la communauté scientifique depuis sa découverte il y a une vingtaine d’années », indique Peißker dans le communiqué de l’université. « Avec ces nouvelles données de haute résolution, nous pouvons maintenant confirmer la composition des éléments constitutifs avec un trou noir de masse intermédiaire au centre. »
Un pas en avant dans la compréhension des trous noirs supermassifs
Il faudra procéder à d’autres observations plus poussées pour confirmer cette interprétation des résultats, mais le dossier semble déjà très solide. Et c’est une excellente nouvelle, car cette découverte pourrait représenter un grand pas en avant dans notre compréhension du cycle des trous noirs.
En effet, même s’il existe plusieurs théories assez prometteuses, nous ne savons pas exactement comment les trous noirs supermassifs comme Sagittarius A* naissent et atteignent des masses aussi gigantesques. Un des scénarios les plus convaincants, c’est qu’ils assimilent de grandes quantités de matière et même d’autres trous noirs au cours de leur vie. Ces travaux sur IRS 13 soutiennent cette théorie ; l’amas semble être un petit garde-manger qui aide le mastodonte à se sustenter. « IRS 13 semble être un élément constitutif essentiel de notre trou noir central SgrA* », explique Peißker.
Il sera donc très intéressant de pousser ces observations encore plus loin. IRS 13 va sans doute devenir un fabuleux laboratoire à ciel ouvert qui permettra aux astrophysiciens de mieux comprendre quel rôle ce genre d’objet peut jouer dans l’évolution des trous noirs géants. L’autre point très excitant, c’est que ces travaux offrent une excellente piste pour trouver davantage d’IMBH : d’autres représentants de cette catégorie sont peut-être cachés dans d’autres amas d’étoiles à proximité du trou noir supermassif.
Le cas échéant, cela permettrait aux astrophysiciens d’obtenir encore plus de données précieuses pour comprendre leut comportement — avec tout ce que cela implique pour la dynamique globale de l’Univers. Il ne reste donc plus qu’à attendre que des observatoires de pointe comme le JWST ou l’ELT, le plus grand télescope au monde en cours de construction au Chili, braquent leurs objectifs sur IRS 13 et ses semblables.
Le texte de l’étude est disponible ici.
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