Même si elles ne jouissent pour le moment pas du même prestige que la Formule 1 ou le MotoGP, les courses de drones commencent à séduire de plus en plus de monde. Et cette discipline à la fois spectaculaire et très exigeante n’intéresse pas que le grand public, mais aussi les ingénieurs en aérospatiale. Dans un billet, l’ESA a révélé qu’elle avait commencé à travailler avec ces petits bolides volants pour développer de nouveaux systèmes de navigation spatiale très sophistiqués.
Au cœur de ce projet, on retrouve deux acteurs centraux : l’université néerlandaise de Delft, célèbre pour son Micro Air Vehicle Laboratory (MAVLab), et l’Advanced Concept Team (ACT), une division de l’agence spatiale européenne chargée de travailler sur des technologies disruptives qui pourraient révolutionner la conquête spatiale.
Ensemble, les deux partenaires travaillent sur une idée qui a le vent en poupe en ce moment : exploiter des réseaux de neurones artificiels pour permettre à des engins aériens et, à terme spatiaux, de réaliser des manœuvres complexes en toute autonomie.
La navigation, un vrai casse-tête logistique
Ces manœuvres, qui vont des transferts interplanétaires aux atterrissages en passant par les rendez-vous en orbite, sont des éléments cruciaux de la conquête spatiale qu’il est indispensable de planifier avec une minutie extrême. En effet, les lanceurs, capsules, sondes et autres engins de ce genre voyagent traditionnellement à des vitesses très importantes et parfois sur de très longues distances. Dans ce contexte, la moindre erreur de calcul peut avoir des conséquences dramatiques. Si la trajectoire n’est pas parfaitement définie, un engin peut facilement rater sa cible et partir à la dérive aux confins du cosmos ou percuter un autre objet à plusieurs milliers de kilomètres-heure — ce qui est évidemment problématique connaissant les sommes investies dans ces programmes.
Mais arriver à destination n’est pas la seule contrainte ; il faut aussi optimiser l’utilisation des ressources (carburant, énergie, temps de calcul…) pour maximiser le potentiel de chaque engin. C’est une problématique centrale de chaque mission, et des armées d’ingénieurs passent le plus clair de leur temps à jongler avec ces éléments. Par exemple, lorsqu’une sonde part explorer les lunes de Jupiter ou de Saturne, les agences spatiales calculent généralement une trajectoire bien spécifique qui permet au véhicule de se catapulter d’une planète à l’autre en utilisant l’effet de fronde gravitationnelle afin d’économiser du carburant.
L’organisation de chaque mission est donc un véritable casse-tête logistique qu’il serait très intéressant de pouvoir déléguer à un modèle IA. Mais encore faut-il trouver un support alternatif qui n’implique pas de lancer une fusée à plusieurs millions pour tester ces systèmes.
Les drones à la rescousse
C’est précisément pour cette raison que l’ESA s’est associée au MAVLab. L’ACT estime que les drones de course sont de bons analogues pour enseigner les rudiments des manœuvres à une IA, afin que des véhicules spatiaux dopés à l’IA puissent les planifier en temps réel et en toute autonomie.
« C’est l’environnement parfait pour tester des architectures neurales sur de vraies plateformes robotiques, afin d’accroître la confiance dans leur utilisation future dans l’espace », explique Dario Izzo, coordinateur scientifique de l’ACT, dans un communiqué de l’ESA. « Il y a une vraie synergie entre les drones et les véhicules spatiaux. »
L’idée, c’est de permettre aux engins de recalculer continuellement la trajectoire optimale eux-mêmes, au lieu d’essayer coûte que coûte de coller au plan de vol initialement calculé par les équipes au sol. Cela signifie qu’en cas d’imprévu, il pourra suivre une route légèrement différente mais tout de même très efficiente, au lieu de multiplier les corrections par force brute coûteuses pour suivre les instructions originales à la lettre même si elles n’ont plus forcément de raison d’être. Le principal enjeu des travaux joints du MAVLab et de l’ACT, c’est donc de réduire progressivement l’écart entre les simulations et la réalité du terrain.
« Nous traitons ce problème en identifiant l’écart de réalité pendant le vol et en apprenant au réseau neuronal à y faire face. Par exemple, si les hélices fournissent une poussée plus faible que prévu, le drone s’en rendre compte grâce à ses accéléromètres. Le réseau de neurones régénère alors les commandes pour suivre le nouveau chemin optimal. »
Vers une nouvelle génération de vaisseaux spatiaux autonomes
Petit à petit, ces travaux permettront de développer un cadre théorique solide et de définir des marges de sécurité. Une fois que les chercheurs seront satisfaits du résultat, ils pourront alors aborder la conception d’un vrai démonstrateur spatial afin de vérifier si cette approche fonctionne bien en conditions réelles.
En cas de succès, cela pourrait ouvrir la voie à une nouvelle génération de sondes et de vaisseaux autonomes fiables et performants, en plus d’alléger la charge de travail des équipes de planification et de minimiser les conséquences d’une éventuelle erreur humaine.
Certes, il faudra sans doute patienter de longues années avant qu’une agence spatiale ait le courage de confier un engin hors de prix à un modèle IA ; mais il sera tout de même très intéressant de suivre les retombées de ce programme qui pourrait faire passer la navigation spatiale dans une nouvelle ère.
Le texte de l’étude est disponible ici.
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