Il y a 50 000 ans, un mammouth laineux a été congelé dans le permafrost de la toundra sibérienne. Il aurait facilement pu tomber aux oubliettes comme la plupart de ses majestueux congénères – mais le hasard en a décidé autrement.
Ce spécimen était si bien préservé qu’il restait des tissus dont une équipe internationale de chercheurs a réussi à en extraire un chromosome fossilisé remarquablement bien préservé. Une grande première dans l’histoire de la paléogénétique.
L’ADN, une archive très délicate
L’ADN est une substance qui supporte mal les assauts du temps. En règle générale, les échantillons de ce genre sont trop mal conservés pour être exploitables, et les chercheurs ne disposent que de quelques fragments isolés qui limitent fortement le potentiel des analyses. Mais cette fois, la chance a souri aux paléontologues. Ils expliquent que l’animal a été congelé et desséché très rapidement après sa mort, au point d’être complètement momifié. Or, dans cet état, les constituants de l’ADN deviennent extrêmement résistants. « L’architecture nucléaire d’un échantillon déshydraté peut survivre sur une durée incroyablement longue », explique Olga Dudchenko, co-autrice de l’étude.
Les chercheurs avaient donc bon espoir d’en extraire du matériel génétique exploitable — et leurs vœux ont été exaucés. À partir d’un prélèvement de peau au niveau de l’oreille de l’animal défunt, ils ont récupéré un échantillon d’ADN absolument gigantesque. Si l’on raisonne en termes de nombre de paires de bases, il est environ un million de fois plus grand que la plupart des autres fragments d’ADN anciens collectés à ce jour. Il s’agit donc d’une vraie mine d’or génétique.
Le premier chromosome fossilisé
Mais ce n’est pas le seul point qui rend cette découverte exceptionnelle : la qualité est aussi remarquable que la quantité. En effet, le matériel génétique du mammouth a été préservé dans une substance vitreuse qui lui a permis de conserver sa structure 3D originale. Les chercheurs se sont donc retrouvés avec un véritable chromosome fossilisé, ce qui représente une grande première.
« Dans notre échantillon, l’arrangement en 3D des fragments d’ADN a été gelé sur place pendant des dizaines de milliers d’années, préservant ainsi la structure du chromosome entier », indique Marcela Sandoval-Velasco, co-autrice de l’étude. « Il s’agit d’un tout nouveau type de fossile », renchérit son collègue Erez Lieberman Aiden. « Cela change la donne », insiste explique Olga Dudchenko, auteure principale de l’étude.
Une fenêtre inédite sur le génome des mammouths
Si ce niveau de préservation est aussi enthousiasmant pour les chercheurs, c’est parce qu’il ouvre la voie à des analyses qui n’ont jamais pu être réalisées auparavant. En effet, même si l’enchaînement des bases azotées (A, T,C,G) joue un rôle central dans la conservation de l’information génétique, il ne reflète qu’une partie de l’histoire de l’organisme. La structure en trois dimensions des éléments du génome regorge également d’informations autrefois inaccessibles. Il s’agit donc d’une ressource très précieuse. « Connaître la forme des chromosomes d’un organisme disparu permet d’en reconstituer toute la séquence d’ADN », précise Olga Dudchenko.
Pour guider cette reconstruction, son équipe a eu recours à une technique appelée PaleoHi-C. « Imaginez un puzzle de trois milliards de pièces pour lequel vous ne connaissez pas l’image finale », explique le co-auteur Marc A. Marti-Renom. « Hi-C vous permet d’avoir une approximation de cette image avant de commencer à assembler les pièces du puzzle. »
L’équipe a donc entrepris de croiser ces informations avec des séquençage du chromosome pour reconstituer l’architecture génomique du mammouth laineux, en se basant sur son plus proche parent vivant, l’éléphant d’Asie.
En premier lieu, ils ont pu déterminer que les mammouths laineux disposaient de 28 chromosomes — exactement comme son descendant. C’est la première fois que cette information peut être extraite d’un échantillon d’ADN si ancien.
En poussant plus loin, ils ont aussi réussi à obtenir des informations précises sur l’activité des gènes, c’est-à-dire sur leur propension à être transcrits en ARN messager par la machinerie cellulaire. Là encore, ce sont des informations inestimables, car l’activité des gènes regorge d’implications par rapport à la physiologie et à l’histoire évolutive de l’animal et de sa lignée.
Par exemple, certains gènes clés qui régulent les follicules pileux — les structures cellulaires d’où émergent les poils — présentaient des motifs d’activation radicalement différents de ce que l’on observe chez les pachydermes modernes. Rien de bien surprenant, puisque les éléphants ont perdu l’épais lainage de leurs ancêtres depuis belle lurette. Mais ce n’est que la partie émergée de l’iceberg, et il sera sans doute possible d’obtenir des tas de nouvelles informations sur la vie et le déclin des mammouths laineux à partir de ce fossile unique en son genre.
La cerise sur le gâteau, c’est que les chercheurs estiment que leur technique d’analyse pourrait aussi être modifiée pour tirer des informations d’échantillons en très mauvais état. Si ce pronostic se vérifie, il s’agira sans doute d’une petite révolution en paléontologie, avec la promesse de redécouvrir des écosystèmes que l’on pensait perdus à tout jamais.
« Les prêtres de l’Égypte ancienne pensaient que la momification préparait une personne ou un animal à être réanimé dans une vie future », expliquent les auteurs dans leur papier de recherche. « Ils ne croyaient pas si bien dire. »
Le texte de l’étude est disponible ici.
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