Mieux vaut tard que jamais. Après plusieurs années de galères techniques, de retards et d’explosion du budget, Ariane 6 s’apprête enfin à décoller pour la première fois. Voici les informations cruciales à garder en tête avant le lancement, des horaires au programme vol en passant par les enjeux énormes de cette mission pour l’Europe dans son ensemble.
Quand le lancement aura-t-il lieu ?
La fenêtre de lancement dont Ariane 6 compte profiter s’ouvrira demain, le 9 juillet 2024, à 20 h (heure de Paris). C’est une fenêtre relativement courte, puisqu’à partir de là, elle disposera de quatre heures pour procéder à la mise à feu, soit jusqu’à minuit. Si toutes les conditions réunies, c’est donc dans cet intervalle de temps que la fusée va s’élancer depuis le pas de tir flambant neuf de Kourou de, en Guyane française.
Il est toutefois important de préciser qu’il ne s’agit absolument pas d’une garantie. Dans un contexte où Ariane 6 a déjà accumulé un retard significatif, l’ESA et ses partenaires ne sont plus à quelques jours près. Les équipes au sol et vont tout faire pour maximiser les chances de succès du lancement, surtout dans le contexte actuel où Ariane 6 est particulièrement attendue au tournant. L’ESA et ses partenaires n’ont aucune raison de se précipiter, et le compte à rebours ne sera lancé que si tous les voyants sans exception sont au vert; pas question de prendre le moindre risque avec le véhicule qui porte tous les espoirs de l’aérospatiale européenne.
Cela concerne d’abord le lanceur en lui-même ainsi que l’infrastructure au sol. Le traditionnel diagnostic de prélancement devra être irréprochable, et tous les sous-systèmes (propulsion, télémétrie…) devront être parfaitement opérationnels. Il faudra aussi tenir compte des caprices de la météo. Les conditions devront être absolument idéales afin de minimiser les risques. Si le moindre capteur renvoie des données légèrement inattendues, ou qu’une bourrasque trop vigoureuse se fait sentir, les opérateurs n’hésiteront pas une seconde à mettre fin à la procédure et à la reporter.
Le cas échéant, la suite des événements dépendra de la nature du problème constaté. S’il est facile à régler, le compte à rebours sera simplement décalé plus tard dans la soirée. S’il est plus sérieux, le tir sera repoussé à une date ultérieure. La prochaine fenêtre s’ouvrira 48 heures plus tard, le 11 juillet. D’autres opportunités se présenteront jusqu’au 31 juillet.
En revanche, l’ESA va tout faire pour ne pas dépasser cette date butoir. Dans une interview à La Tribune, le directeur du transport spatial à l’ESA Toni Tolker-Nielsen a déclaré qu’il fallait « absolument » procéder au lancement avant la fin du mois. En effet, les équipes derrière la fusée travaillent d’arrache-pied depuis des mois sans interruption, et tout ce personnel aura donc droit à des vacances bien méritées au début du mois d’août. Si Ariane 6 n’est pas partie avant, il faudra attendre le retour des équipes techniques, puis remettre toute la machinerie en ordre de marche avant de pouvoir envisager un nouveau lancement. Avec quelques semaines de retard supplémentaire à la clé.
Comment se déroulera le vol ?
Sept secondes avant la fin du compte à rebours, nous assisterons au premier moment critique de cet essai : la mise à feu initiale du moteur Vulcain 2.1. En effet, il s’agit toujours d’une étape délicate, surtout pour un lanceur flambant neuf. Même si tout le système de propulsion a bien entendu été rigoureusement testé en amont, il y a une foule de problèmes qui peuvent survenir au dernier moment avec des conséquences potentiellement catastrophiques. Si le Vulcain commence à rugir et qu’Ariane 6 parvient à s’arracher du pas de tir, il s’agira déjà d’une première victoire.
2 min 16 s après le décollage, les boosters latéraux se sépareront du premier étage, suivis de la coiffe environ 1 min 30 s plus tard. À noter qu’Ariane 6 sera dotée de deux boosters pour ce vol inaugural, mais il existe aussi une autre configuration à 4 boosters (Ariane 64) qui sera utilisée pour déployer des charges utiles plus lourdes.
Il faudra encore patienter quatre minutes supplémentaires pour arriver au prochain virage critique : la séparation des deux étages, qui arrivera à T+ 7:41. Là encore, il s’agit toujours d’un moment sous haute tension. Le moindre problème peut donner lieu à une perte de contrôle potentiellement fatale, comme SpaceX nous l’a encore prouvé avec son Starship (voir notre article).
Si le deuxième étage parvient à se désolidariser sans problème, il devra lancer son propre moteur, baptisé Vinci. Il réalisera un premier boost de 10 min et 40 secondes avant de s’éteindre en attendant de s’approcher de son orbite de destination. Cette phase de croisière durera un peu moins de 40 minutes, après quoi Vinci se remettra en marche une deuxième fois 56 minutes et 20 secondes après le décollage pour affiner son approche avant de s’éteindre 22 secondes plus tard.
Ariane 6 entrera alors dans le vif du sujet avec le déploiement de sa charge utile. La première commande de séparation, à T+1:05:63, permettra de libérer la première vague de satellites. Trois secondes plus tard, c’est la deuxième vague qui prendra son envol. Enfin, les derniers satellites à quitter le navire s’en iront 1 h 6 min et 2 secondes après le décollage. Si tous ces engins réussissent à s’initialiser et à se désolidariser correctement, on pourra considérer ce vol inaugural comme un grand succès.
À partir de là, l’étage supérieur va continuer sa route pendant environ 8 minutes supplémentaires avant d’aborder la dernière phase, celle du désorbitage. Vinci et deux unités de propulsion auxiliaires vont se remettre en marche pour commencer à ralentir la coquille désormais vide de qui retournera brûler dans l’atmosphère. Ariane 6 n’étant pas un lanceur réutilisable, aucun de ces éléments n’a vocation à être récupéré intact, et à moins qu’une erreur de planification dramatique n’envoie quelques débris au mauvais endroit, le déroulement de cette phase n’aura que peu d’impact sur le résultat de la mission.
Quels sont les enjeux ?
Certes, le premier exemplaire d’Ariane 6 n’embarquera pas de satellite de pointe de type James Webb Space Telescope ou Euclid. Mais sa cargaison reste tout de même précieuse, et les clients attendent cette échéance avec impatience depuis de longs mois. Il faut dire que le calendrier a accumulé un retard plus que significatif, en partie à cause de la pandémie de Covid-19 qui a complètement paralysé certaines chaînes logistiques.
Encore plus de l’explosion du budget, ces retards ont placé l’Europe dans une situation très problématique, désormais baptisée « crise des lanceurs ». En effet, depuis que la formidable Ariane 5 a pris sa retraite et que les Soyouz russes ont été mis sur la touche depuis l’invasion de l’Ukraine, le Vieux Continent se retrouve entièrement privé de lanceurs lourds. C’est également compliqué du côté des lanceurs plus légers depuis l’accident de Vega-C.
Cette crise a deux conséquences très importantes. En premier lieu, cela signifie que l’Europe spatiale accumule un retard technologique de plus en plus important par rapport à ses concurrents, notamment chinois et américains.
Mais le plus grave, c’est que la crise des lanceurs prive l’Europe de son autonomie dans un domaine qui pèse de plus en plus lourd au niveau stratégique et géopolitique. Et cette dépendance a déjà eu des conséquences on ne peut plus concrètes. L’ESA a par exemple été forcée de faire appel à SpaceX pour lancer Euclid, le fabuleux chasseur d’énergie noire qui commence déjà à rapporter de superbes résultats. Nous avons aussi dû lui céder le lancement des satellites Galileo, le pendant européen du système de navigation GPS américain. Un sacrifice particulièrement symptomatique de la situation actuelle, puisqu’il s’agit d’engins extrêmement importants au niveau stratégique. « Tout ce qui pouvait mal tourner a mal tourné », a regretté Joseph Aschbacher, directeur général de l’ESA.
Certes, ces décisions embarrassantes ont été prises à contrecœur, dans un contexte où l’Europe n’avait pas vraiment d’autre choix. Elles étaient donc compréhensibles, et maintenant qu’Ariane 6 est enfin au garde-à-vous, tout le monde espérait que cette tendance nauséabonde allait enfin s’arrêter… mais c’était sans compter le feuilleton Eumetsat.
Cette agence qui gère l’exploitation des satellites météorologiques européens était censée être l’un des premiers gros clients de l’ESA. Mais à la surprise générale, elle a finalement choisi de tourner le dos à Ariane 6. Elle a cédé le lancement de MTG-S1, un satellite de pointe présenté comme une petite révolution dans la prévision et le suivi du climat… à SpaceX. Une décision vécue comme un coup de couteau dans le dos par le contingent européen, certains allant même jusqu’à parler de « trahison ».
Car vu de l’extérieur, on peut difficilement interpréter cette décision comme autre chose qu’un manque de confiance dans les capacités du lanceur européen. Cette volte-face est donc assez catastrophique en termes d’image. Il y a un risque certes faible, mais bien réel qu’elle pousse d’autres partenaires à suivre la même trajectoire, avec tout ce que cela implique pour la crédibilité de l’aérospatiale européenne qui se félicitait de pouvoir enfin lancer des satellites européens dans des lanceurs européens.
Ce feuilleton a encore augmenté le poids des responsabilités déjà énormes qui pesaient déjà sur Ariane 6. Non seulement elle va devoir prouver qu’elle est capable de sortir l’Europe de sa crise des lanceurs, mais elle va devoir le faire très rapidement pour éviter à tout un continent d’être relégué en deuxième division d’une compétition parmi les plus importantes de notre ère. Si elle échoue à remettre notre aérospatiale dans le droit chemin, et vite, c’est toute une industrie qui pourrait se retrouver embarquée dans une spirale infernale potentiellement dévastatrice, à l’aube d’une nouvelle ère de conquête spatiale qui va jouer un rôle central au niveau diplomatique ainsi que dans les rapports de force militaires et économiques.
Il ne reste donc plus qu’à croiser les doigts pour que le travail des ingénieurs et des techniciens qui ont donné leur corps et leur âme à Ariane 6 depuis tant d’années soit récompensé, et que le vol inaugural permettra de commencer à écrire un nouveau chapitre de notre histoire en construisant sur des bases saines.
Comment suivre le lancement en direct ?
Le lancement sera diffusé en direct le 9 juillet à partir de 19 h 30, sur la webTV de l’ESA (à cette adresse) ainsi que sur la chaîne YouTube de l’agence (ci-dessous).
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