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Cette fourmi est une incroyable chirurgienne

Des chercheurs ont constaté que Camponotus floridanus était capable de poser un diagnostic, puis de procéder à une amputation et de dispenser des soins post-opératoires pour sauver un individu blessé. Un nouvel exemple qui témoigne des prouesses médicales des fourmis.

Si les fourmis fascinent autant les humains, aussi bien du côté du grand public que des chercheurs, c’est en grande partie grâce à leurs structures sociales complexes qui font émerger de nombreux comportements totalement uniques dans le règne animal. Récemment, des chercheurs suisses en ont encore apporté une preuve supplémentaire : ils ont montré que certaines fourmis n’hésitent pas à pratiquer de véritables opérations chirurgicales pour sauver leurs congénères d’une mort certaine.

Ces travaux menés par des représentants des universités de Lausanne, en Suisse, et de Würzburg, en Allemagne, concernent les fourmis Camponotus. Il s’agit d’un genre extrêmement diversifié qui compte près de 1000 espèces différentes réparties un peu partout sur la planète, y compris en France.

On les rencontre cependant moins souvent que leurs cousines du genre Lasius, les petites fourmis noires qui s’installent dans presque tous les jardins, car leur habitat de prédilection est très différent. En effet, comme leur suggère leur nom commun anglais (Carpenter ants, pour « fourmis charpentières »), elles affectionnent particulièrement le bois, notamment lorsqu’il est humide. Elles ont la fâcheuse manie d’y creuser de longues galeries pour y installer leurs colonies, ce qui peut causer de gros dégâts dans les vieilles habitations.

L’autre caractéristique de ces fourmis, c’est qu’elles présentent des relations dites mutualistes. Cela signifie qu’elles interagissent avec d’autres êtres vivants de manière à ce que les deux partis en tirent des bénéfices. L’exemple le plus connu est celui des pucerons : les fourmis Camponotus font partie des espèces qui les élèvent comme du bétail pour consommer le miellat qu’ils produisent à partir de la sève des plantes. Et pour maintenir ce buffet sur le long terme, elles contrôlent aussi activement leur population, n’hésitant pas à la réduire dès que le nombre de pucerons commence à représenter une menace pour la plante.

Ce comportement n’a pas de rapport direct avec l’étude ; en revanche, il illustre bien le fait que ces fourmis ont développé de nombreuses stratégies pour favoriser la survie de la colonie sur le long terme. Et la propension des fourmis charpentières à jouer au docteur témoigne aussi de cet instinct de préservation de la communauté.

Des opérations chirurgicales dans les règles de l’art

Même si nos systèmes immunitaires sont très différents, comme chez les humains, les plaies ouvertes sont prises très au sérieux par les fourmis. Elles peuvent donner lieu à des infections par des micro-organismes comme Pseudomonas aeruginosa, qui, très souvent, conduisent à la mort. Or, si le décès d’une seule fourmi est loin d’être dramatique à l’échelle du groupe, la colonie a quand même tout intérêt à préserver autant d’individus que possible pour assurer son avenir sur le long terme.

Et c’est là qu’interviennent les auteurs de ces travaux. Ils ont constaté que les Camponotus –  plus spécifiquement une espèce floridienne appelée Camponotus floridanus – ont droit à un traitement très particulier lorsqu’elles sont blessées.

Il peut prendre deux formes différentes. La première, c’est l’amputation pure et simple. Lorsqu’un membre de la colonie traîne une patte estropiée qui limite sa mobilité, un de ses congénères nettoie rapidement le site en question. Une autre prend ensuite le relais, et utilise ses puissantes mandibules pour l’arracher précisément au niveau de l’articulation de l’exosquelette de chitine, là où le tissu est moins résistant. Une vraie amputation tout ce qu’il y a de plus délibérée.

Amputation Foumi
Une fourmi Camponotus floridanus en train de sectionner la jambe de sa voisine. © Frank et al.

L’autre alternative est un peu moins brutale : elle consiste simplement à faire nettoyer la plaie en profondeur par un autre membre de la colonie. Si ce concept vous rappelle quelque chose, c’est parce que la même équipe a récemment observé un comportement analogue chez un autre genre de fourmis, les immenses Megaponera analis. Pour soigner les bobos de leurs congénères, elles utilisent un ensemble complexe de substances cicatrisantes et antibiotiques.

Les Camponotus, en revanche, sont dépourvues de la glande qui sécrète ce cocktail salvateur. À la place, elles utilisent donc un procédé entièrement mécanique qui consiste à nettoyer méticuleusement la plaie avec leurs pièces buccales, parfois à plusieurs reprises sur une durée prolongée. Un vrai travail… de fourmi.

Camponerea Floridanus Nettoyage Plaie
Une fourmi Camponotus en train de nettoyer une plaie chez sa voisine. © Frank et al.

Et même si elles sont privées de l’arsenal chimique des Megaponera, ces procédures rencontrent tout de même un succès absolument bluffant. Les soins des blessures du fémur, qui sont fatales dans plus de 60 % des cas, permettent au patient de survivre 90 à 95 % du temps. Et pour les plaies au tibia, dont le taux de mortalité atteint 85 % sans prise en charge, 75 % des fourmis traitées survivent ! De quoi stupéfier les chercheurs.

« C’est littéralement le seul cas où des amputations systématiques et sophistiquées sont pratiquées d’un individu à l’autre, dans tout le règne animal », explique Erik Frank, écologiste comportemental à l’Université de Würzburg et auteur principal de l’étude.

Un sens aigu du diagnostic

Ce taux de succès invraisemblable est directement lié à un autre superpouvoir que les auteurs ont identifié chez les fourmis charpentières. En effet, ils ont constaté que leurs cobayes ne dispensent pas leurs soins au hasard : à la place, ils analysent consciencieusement la nature de la blessure pour décider de la marche à suivre. Par exemple, toutes les blessures du fémur faisaient systématiquement l’objet d’une amputation. Les plaies au tibia, en revanche, étaient plutôt traitées par un simple nettoyage.

Cette observation pose une question cruciale : comment ces fourmis choisissent-elles la bonne procédure ? Selon les auteurs, le verdict est sans doute lié au risque d’infection. En effet, le fémur est fortement vascularisé par l’hémolymphe — l’équivalent fonctionnel du sang chez les insectes. Lorsqu’il est endommagé, le muscle perd sa capacité de circulation, et par extension, à véhiculer les pathogènes. Il suffit donc de nettoyer la plaie jusqu’à ce qu’elle cicatrise.

Les plaies au tibia, en revanche, sont des urgences vitales pour la raison inverse. Elles contiennent moins de tissu musculaire, et les blessures ont donc peu de chances d’entraver le flux de l’hémolymphe qui véhicule les agents infectieux — d’où l’amputation directe. Les tests des chercheurs indiquent que les fourmis ont intuitivement compris cette dynamique, et que cela leur confère des capacités de diagnostic pratiquement uniques.

Un système de soin qui rivalise avec celui des humains

La cerise sur le gâteau, c’est que lors de ces opérations prioritaires, les fourmis se répartissent les tâches comme une vraie équipe de professionnels de soin. En règle générale, une première fourmi se charge du diagnostic et de l’amputation, et d’autres se chargent du suivi postopératoire à base de nettoyages réguliers.

« Cette façon de présenter une blessure à un autre individu qui va amputer, puis de la soumettre cette nouvelle plaie à d’autres fourmis pour qu’elles puissent finir le nettoyage, c’est un niveau de coopération inné qui est vraiment frappant », s’étonne Frank. « Le fait qu’elles puissent diagnostiquer une blessure, vérifier si elle est infectée ou stérile, et la faire traiter en conséquence par un autre individu sur une longue période… c’est le seul système de soin qui puisse rivaliser avec celui des humains ».

Le texte de l’étude est disponible ici.

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Source : EurekAlert

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