En 2020, Google s’est livré à un exercice de communication extrêmement périlleux en annonçant son intention d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2030. Un objectif ô combien ambitieux pour un tel poids lourd des nouvelles technologies. Mais il y a comme un problème : ses émissions de carbone ont énormément augmenté ces dernières années — une dynamique qui témoigne du cynisme de la Big Tech sur les questions d’environnement.
Un article publié hier dans le Financial Times cite en effet le dernier rapport environnemental annuel de la figure de proue d’Alphabet, qui a été publié ce mardi. Selon ce nouvel audit, Google a vu ses émissions augmenter de 48 % en l’espace de cinq ans. Un chiffre d’autant plus énorme que l’entreprise faisait déjà partie des plus gros émetteurs de la Silicon Valley avant cette flambée. Désormais, son bilan est estimé à 14,3 millions de tonnes d’équivalents carbone en 2023. Pour référence, c’est l’équivalent des émissions annuelles de plus de 10 millions de voitures à moteur thermique standard (avec une base d’environ 10 000 km par an).
Une conséquence de la ruée vers l’IA
Selon ce même rapport, une part tout à fait significative de ces émissions additionnelles est directement attribuable à un secteur d’activité en particulier. Et comme vous l’avez sans doute déjà deviné, il s’agit de l’intelligence artificielle. La nouvelle obsession de la Big Tech pour cette technologie nécessite de construire toujours plus de data centers, et d’utiliser des quantités affolantes d’énergie pour alimenter les modèles de machine learning qui fleurissent aux quatre coins de l’industrie.
En parallèle, il convient aussi de préciser que Google n’est pas la seule entreprise dont le bilan carbone a explosé avec la démocratisation de l’IA. Selon le Financial Times, on constate un phénomène analogue du côté de Microsoft, dont les émissions ont augmenté de presque un tiers depuis 2020. Cela vaut aussi pour Amazon, Meta, et tous les autres cadors de la Big Tech. Une dynamique décidément préoccupante, sachant que cette ruée vers l’or numérique ne va certainement pas s’arrêter du jour au lendemain et qu’on peut donc s’attendre à ce que la facture environnementale continue d’exploser.
Dans ce contexte, on peut légitimement s’interroger sur la capacité de Google à atteindre son objectif de neutralité carbone en 2030. Mais ces chiffres ne semblent pas inquiéter l’état-major de Google. L’entreprise maintient son engagement, et affirme qu’elle « travaille activement à réduire ses émissions ».
Mais on constate aussi que la communication de Google est taillée sur mesure afin que l’entreprise puisse garder un peu de marge de manœuvre. Kate Brandt, directrice du développement durable citée par la Financial Times, a préparé le terrain en prévenant que les émissions allaient sans doute continuer d’augmenter à court terme avant de baisser.
Le joker de l’énergie verte s’essoufle
Toute la question, c’est de savoir comment la firme prévoit d’inverser cette tendance. Les pistes sont loin d’être évidentes, notamment parce que la quantité d’énergie verte disponible est en train de devenir un vrai goulot d’étranglement : la demande est aujourd’hui largement supérieure à l’offre. Toujours selon le Financial Times, la consommation d’électricité des data centers de Google a « dépassé » la capacité de l’entreprise à accéder à des projets d’énergie propre aux États-Unis et dans la région Asie-Pacifique.
Cela place Google et ses homologues dans une situation particulièrement inconfortable. En effet, jusqu’à présent, l’énergie durable a toujours été le joker préféré des entreprises de la Big Tech. À chaque fois qu’elles sont pointées du doigt pour leur impact environnemental, elles ont tendance à annoncer pompeusement de “nouvelles initiatives responsables“ centrées sur les énergies vertes, avec des résultats souvent très difficiles à quantifier de l’extérieur. Mais à chaque jour qui passe, il devient de plus en plus évident qu’elles ne pourront pas se reposer dessus pour satisfaire l’appétit dévorant des modèles IA.
Combattre le feu par le feu
Du point de vue de Google et consorts, il devient donc urgent de trouver un nouvel angle de communication — et celui pour lequel ils ont opté est assez lunaire. Accrochez-vous bien : pour compenser l’impact de l’IA, Google compte désormais… sur l’IA. « L’IA nous offre des opportunités incroyables en termes de solutions climatiques », explique Brandt.
Le serpent qui se mord la queue. Et ce n’est pas un cas isolé. On retrouve le même son de cloche chez Bill Gates. La semaine dernière, le cofondateur de Microsoft a déclaré que l’IA allait apporter un tas de nouvelles solutions au changement climatique.
Cet argumentaire n’est pas entièrement dénué de sens, loin de là. Il faut admettre que l’écosystème IA actuel est encore balbutiant ; il n’y a quasiment aucun doute que des architectures moins énergivores que les LLM actuels finiront par émerger au fur et à mesure que ces technologies gagneront en maturité.
En outre, il est vrai que des outils basés sur l’IA pourraient nous aider à réduire l’ampleur des dégâts. Par exemple, ces modèles pourraient nous permettre d’analyser plus précisément les sources de carbone, d’optimiser le réseau de distribution et les appareils qui consomment de l’énergie, d’assainir les moyens de transport et les chaînes logistiques, ou encore de découvrir de nouveaux matériaux potentiellement révolutionnaires.
Enfin, il est important de préciser que toute dépense d’énergie n’est pas forcément à proscrire dans l’absolu. Tout est une question d’équilibre ; dans un scénario où les bénéfices pour l’humanité seraient supérieurs aux contributions au changement climatique, un bilan carbone non nul pourrait tout à fait être justifiable.
Une nouvelle stratégie de greenwashing
Mais pour l’instant, à l’échelle globale, c’est encore loin d’être le cas de l’IA grand public telle qu’elle est envisagée par Google et Microsoft, même s’ils tentent par tous les moyens d’en convaincre le public. Et dans ce contexte, on peut difficilement s’empêcher de déceler une forme de greenwashing opportuniste dans cet argumentaire, de la part d’entreprises qui ne reculent devant rien pour légitimer leur ruée vers l’IA auprès du grand public.
Google reconnaît lui-même que l’impact environnemental de l’IA dans le futur est une question très complexe et difficile à modéliser. Mais le corollaire est également vrai : ce constat vaut également pour les bénéfices potentiels de cette technologie. À l’heure actuelle, suggérer que l’IA finira forcément par nous soulager de son propre impact environnemental — sans parler de celui des autres industries — reste un brin présomptueux. Les plus cyniques, de leur côté, y verront sans doute un vœu pieux de la part de communicants qui cherchent à échapper à leurs responsabilités, et qui prennent leurs désirs pour des réalités en balayant d’un revers de la main toutes les nuances et les incertitudes inhérentes à cette technologie émergente.
Il faut donc espérer que les pronostics de Google et consorts sont fondés. Cet optimisme est louable, mais il ne faut pas non plus se voiler la face ; avant d’en avoir la preuve, il serait très indélicat — pour ne pas dire carrément malhonnête — d’écarter des solutions à l’efficacité déjà démontrée tout en présentant le machine learning comme une baguette magique qui va fatalement aider l’humanité à sortir de ce pétrin écologique.
Nous vous donnons donc rendez-vous en 2030, date de la neutralité carbone poursuivie par Google, pour réaliser un premier état des lieux qui s’annonce très enrichissant.
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