Dans un papier de recherche repéré par la BBC, des chercheurs japonais ont réussi à attacher de la peau humaine cultivée en laboratoire à un robot. Une expérience un tantinet dérangeante, mais très intéressante qui pourrait faire progresser la robotique et même la chirurgie orthopédique.
Fuir la vallée de l’étrange
Notre cerveau est conditionné pour reconnaître instantanément un visage humain et les caractéristiques qui le définissent. Il est particulièrement doué pour reconnaître une foule de détails que l’on ne perçoit pas consciemment, comme l’infime asymétrie que l’on retrouve dans la structure de tous les visages et des expressions. Par contre, dès que l’on supprime ces subtils marqueurs de notre humanité, la supercherie devient absolument criante, sans qu’on puisse pointer du doigt une difformité évidente. On appelle ce phénomène la vallée de l’étrange.
Des chercheurs travaillent sur cette thématique depuis la plus tendre enfance de la robotique avancée ; dès que les premiers androïdes sont apparus, certains ont immédiatement pensé que la peau pourrait permettre aux robots de franchir la vallée de l’étrange pour atteindre un niveau de réalisme quasiment parfait.
Force est de constater que ça ne s’est pas toujours bien passé. À l’heure actuelle, il n’existe toujours pas de robot qui soit capable de faire illusion. C’est en effet un problème qui comporte de nombreuses facettes : pour obtenir un robot parfaitement réaliste, il faudra sans doute attendre de grands progrès dans les technologies d’animation, l’ingénierie structurale et la science des matériaux. Mais les chercheurs japonais estiment avoir fait un grand pas dans cette direction.
Une peau plus vraie que nature
Les chercheurs ont commencé par cultiver une peau artificielle composée de véritables cellules vivantes. Le résultat est relativement convaincant. Elle présente des irrégularités réalistes ainsi qu’une transluminescence assez proches de la peau humaine, en tout cas par rapport à un matériau comme le latex.
Mais le réalisme de la peau en elle-même ne suffit pas à créer un humanoïde convaincant. D’autres chercheurs en ont déjà fait l’amère expérience. Ce n’est pas la première fois que cette idée d’utiliser de vraies cellules de peau est utilisée, mais jusqu’à présent, elle s’est toujours heurtée à un problème d’adhérence. En effet, la peau des humains est attachée aux structures sous-jacentes par des tissus ligamenteux ; sans ces liens essentiels, la peau ne peut pas suivre les mouvements du visage, et on obtient un résultat tout droit sorti d’un film d’horreur.
Pour surmonter ces obstacles, les chercheurs japonais ont misé sur une approche à la fois chimique et structurale. La structure de leur robot est en effet constellée de petites perforations que les chercheurs ont colmatées avec différents éléments issus de la matrice extracellulaire, comme le collagène et l’élastine — deux constituants majeurs des ligaments. Leur peau artificielle peut donc adhérer parfaitement au “squelette” du robot. De plus, cet ancrage l’empêche également de se résorber pour qu’elle puisse conserver son apparence sur la durée.
Autre point intéressant : cette peau artificielle ressemble aussi à la vraie au niveau fonctionnel. En théorie, un tel revêtement organique pourrait se régénérer en autonomie jusqu’à un certain point. En revanche, puisqu’il ne s’agissait pas de l’objectif principal de l’étude, les chercheurs ne semblent pas avoir mesuré la vitesse à laquelle leur fausse peau peut s’autoréparer.
Les androïdes plus vrais que nature, ce n’est pas pour demain
En revanche, ces travaux comportent tout de même de sérieuses limites. Même s’il est déjà plutôt réaliste, leur matériau de synthèse n’arrive pas encore à la cheville de la peau humaine en termes de résistance et d’élasticité. De plus, il lui manque toutes les structures nerveuses associées à la perception de la pression et de la température, ainsi que toutes des structures circulatoires pour délivrer les nutriments qui permettraient à cette peau de se régénérer continuellement.
De plus, pour obtenir une illusion parfaite, travailler sur la peau ne suffira pas. Il faudrait aussi reconstituer les structures musculaires complexes qui les animent. Selon l’auteur principal de l’étude cité par la BBC, cela passera forcément par l’intégration de capteurs et d’actionneurs très sophistiqués.
Un potentiel concret
Mais avant de sonner le glas de la vallée de l’étrange, ces travaux pourraient avoir des retombées assez concrètes dans des domaines comme la cosmétique ou même la chirurgie orthopédique. Si l’on parvient à recréer de la peau et de la matrice extracellulaire entièrement fonctionnelle, y compris au niveau nerveux, il s’agit d’une excellente nouvelle pour les patients qui souffrent de paralysie faciale ou de blessures comme de graves brûlures.
Le texte de l’étude est disponible ici.
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