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Les lasers du futur seront-ils dopés à la physique quantique ?

Des chercheurs américains ont exploité le mystérieux phénomène d’intrication quantique dans une étude qui pourrait permettre de s’affranchir des limites des lasers conventionnels.

Les lasers sont aujourd’hui des éléments centraux de très nombreux dispositifs de communication de pointe dans des domaines comme l’industrie militaire ou l’aérospatiale. Mais leur efficacité dépend largement de l’environnement où circule la lumière. En cas de brouillard, de températures extrêmes, par exemple, ils peuvent devenir quasiment inexploitables. Des chercheurs ont donc tenté de corriger cette lacune ; en exploitant un des mécanismes les plus fascinants de la physique quantique, ils ont développé un concept qui pourrait aider les lasers à s’affranchir de leurs limites habituelles.

Même s’il est progressivement devenu un mot à part entière dans le langage courant, laser est en fait un acronyme qui signifie light amplification by stimulated emission of radiation, ou amplification de la lumière par émission stimulée de rayonnement.

Pour produire ces faisceaux de lumière condensée, on commence par fournir de l’énergie à des atomes afin de les exciter. On se retrouve alors avec de la matière dans un état instable, où les électrons présentent un niveau d’énergie trop élevé. Ils se débarrassent alors de cette énergie superflue en émettant des photons, les minuscules particules qui sont le vecteur de la lumière. Ces photons peuvent à leur tour frapper d’autres électrons excités, ce qui se manifeste par l’émission d’autres photons qui sont parfaitement en phase avec les premiers : on parle d’émission stimulée. En canalisant tous ces éléments avec des miroirs, on se retrouve avec un rayon concentré et très cohérent où toutes les particules sont en phase — un laser.

Dompter les photons, un vrai casse-tête

Le problème, c’est que ces particules sont très sensibles à la moindre perturbation externe. Il n’est donc pas évident de maintenir la cohérence du rayon lorsqu’il n’est pas parfaitement isolé de son environnement, un peu comme une classe de maternelle en pleine sortie scolaire qui peut vite se laisser distraire.

Photons
© Journal du Geek – MidjourneyAI

« Le voyage des photons à travers l’atmosphère fait de gros dégâts », explique Jung-Tsung Shen, chercheur à l’Université de St. Louis et auteur principal de cette étude financée par la DARPA – l’agence de recherche et développement de la Défense américaine.

Avec son équipe, il a donc eu l’idée de faire voyager ces particules en tandem. Comme un instituteur qui demanderait aux enfants de se ranger deux par deux en se tenant la main, cela permet d’éviter une dispersion potentiellement catastrophique. Mais s’il est déjà difficile de discipliner des bambins, ça l’est encore plus avec des photons, notamment parce qu’ils sont électriquement neutres et donc difficiles à manipuler.

La physique quantique à la rescousse

Shen et son équipe ont donc eu l’idée d’aller piocher dans le répertoire de la physique quantique. Plus spécifiquement, ils se sont appuyés sur l’intrication quantique. Lorsque deux objets passent dans cet état, ils sont unis par un lien invisible et indépendant de la distance ; ils ne peuvent plus être décrits indépendamment l’une de l’autre et, fonctionnellement, ne font plus qu’un. Si un membre du couple subit la moindre modification, l’autre sera affecté exactement de la même manière, même s’il est situé à l’autre bout du cosmos. Cette notion a d’ailleurs donné lieu à une célèbre phrase d’Albert Einstein, qui décrivait l’intrication quantique comme une « action effrayante à distance ».

Les chercheurs sont partis de photons de couleurs différentes — ou plus précisément, avec des longueurs d’ondes différentes. Cela implique qu’ils ne répondent pas exactement de la même façon à toutes les perturbations externes. L’équipe les a ensuite intriqués au niveau quantique pour former des « dimères photoniques ». Pour reprendre l’analogie de la classe, c’est un peu comme si quaque élèves avait été menotté à son partenaire.

L’idée, c’est de former des couples bicolores plus ou moins complémentaires, afin que certains des facteurs qui affectent le premier n’aient pas forcément le même effet sur l’autre. Statistiquement, on se retrouve donc avec un rayon bien plus cohérent.

Les tests en laboratoire ont montré que ces “lasers quantiques” sont plus résistants aux perturbations externes qu’un photon isolé. Les dimères subissent tout de même les effets de l’atmosphère ; mais les photons se « protègent entre eux », résume Shen. « Une partie de l’information qu’ils véhiculent peut donc être préservée. »

Une preuve de concept très prometteuse

Pour l’instant, cette technologie n’en est encore qu’à ses balbutiements. En effet, le dispositif imaginé par les chercheurs n’est pas encore capable d’intriquer suffisamment de photons pour obtenir un faisceau laser exploitable en pratique. Mais ce n’est qu’une question de temps, et cette preuve de concept saisissante pourrait rapidement déboucher sur des applications concrètes assez révolutionnaires dans des domaines comme les télécommunications, l’imagerie médicale ou l’informatique quantique.

Ordinateur Quantique Google
Les ordinateurs quantiques comme ceux de Google Quantum pourraient un jour bénéficier de cette technologie. © Google Quantum

« La particularité de ce projet, c’est qu’il se focalise à la fois sur la génération de ces nouveaux états photoniques quantiques fortement corrélés et sur le développement du cadre théorique et des algorithmes avancés pour leur détection efficace, révolutionnant potentiellement l’imagerie et la communication quantiques », se réjouit Shen. « On essaye d’exploiter les propriétés quantiques de la matière pour faire quelque chose d’innovant. L’intrication peut faire des tas de choses qui relèvent encore de la science-fiction aujourd’hui — ce n’est que la partie émergée de l’iceberg », conclut-il.

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