Le 4 juillet prochain, les citoyens du Royaume-Uni se rendront aux urnes pour élire les membres de leur Parlement – une des plus anciennes assemblées représentatives actives de la planète, puisque sa création remonte au XIIIe siècle. Mais cette édition 2024 aura quelque chose de particulier : pour la première fois en plus de 700 ans d’existence, nos voisins d’outre-Manche auront l’occasion de voter pour un député (MP) entièrement virtuel basé sur une intelligence artificielle.
Cette entité baptisée AI Steve est l’avatar de Steven Endacott, président du conseil d’administration de l’entreprise Neural Voice. À moins que ce ne soit l’inverse. En effet, s’il est élu, les votes, les propositions de loi, et toutes les autres contributions politiques d’AI Steve seront générés par le grand modèle de langage (LLM) propriétaire de l’entreprise.
IAssemblée nationale
Ce dernier est alimenté par une plateforme en ligne qui héberge un agent conversationnel capable de tenir jusqu’à 10 000 conversations simultanément avec le public. Ces discussions sont utilisées pour construire une base de données de revendications des contributeurs. Cela permettra de définir le positionnement politique d’AI Steve pour qu’il puisse voter de façon cohérente avec les attentes du public sur les différentes lois qui arriveront au Parlement.
Il pourra aussi générer des propositions de loi. Mais avant d’être présentés aux autres MPs, ces textes seront d’abord transmis à une équipe de validateurs humains. Leur mission sera de vérifier qu’elles relèvent du bon sens. Il s’agira (en théorie) d’un groupe neutre qui n’aura pas la liberté de modifier le texte pour coller à telle ou telle ligne politique. L’idée, c’est plutôt de barrer la route à une éventuelle campagne de trolling de grande envergure; pas question de proposer de peindre le Palais de Westminster en rose fluo, par exemple.
Dans une interview à Wired, l’homme d’affaires explique que cette idée insolite est née d’une certaine frustration. En tant que citoyen très investi dans le processus démocratique, il a déjà essayé de passer de l’autre côté de la barrière pour faire entendre sa voix par rapport à certaines thématiques qui lui tiennent à cœur, comme l’écologie. Sans succès jusqu’à présent.
Ces échecs, il les attribue en partie à ce qu’il perçoit comme une sorte de sclérose de l’appareil politique. Selon lui, les membres du Parlement se sentent aujourd’hui davantage concernés par les stratégies de leurs partis respectifs et par leurs propres plans de carrière que par les préoccupations de leur base électorale.
Revenir aux sources de la démocratie
Avec AI Steve, il espère mettre un coup de pied dans la fourmilière, et montrer qu’il est toujours possible de concevoir un modèle politique centré sur les attentes des citoyens. “Je pense que nous sommes en train de réinventer la politique en utilisant l’intelligence artificielle comme copilote, non pas pour remplacer les politiciens, mais pour les connecter réellement à leur public, à leurs électeurs”, explique-t-il à Wired.
Endacott ne s’attend d’ailleurs pas à ce que les contributions d’AI Steve correspondent toujours à son opinion personnelle. Mais il compte prendre son rôle d’intermédiaire très à cœur. S’il est élu, il se contentera de représenter physiquement ce député virtuel au Parlement. En pratique, il ne serait qu’une interface en chair et en os, et il s’engage à voter en suivant strictement le positionnement que les contributeurs auront exprimé à travers AI Steve sans interférer.
“C’est sans doute ce que les électeurs souhaitent dans une démocratie”, explique-t-il en conclusion de son interview à Wired. “Cela semble évident que les électeurs devraient dicter la conduite des politiciens… et s’ils n’aiment pas ça, qu’à cela ne tienne. Qu’ils quittent leur poste.”
L’IA de plus en plus présente en politique
À l’heure actuelle, il semble assez improbable qu’AI Steve sorte vainqueurs du scrutin. Dans la circonscription de Brighton Pavilion où il est officiellement candidat, les pronostics actuels placent Siân Berry (Verts) et Tom Gray (Labour) en première et deuxième position avec plus de 20000 votes attendus contre environ… 400 pour les Indépendants comme AI Steve. Un écart probablement insurmontable.
Mais ce n’est probablement qu’un début, dans un contexte où le machine learning commence à s’immiscer dans la sphère politique de manière assez concrète. Par exemple, en mars dernier, le gouvernement britannique a annoncé que des modèles IA allaient progressivement remplacer les fonctionnaires humains dans le processus de consultation publique.
Certes, la finalité n’est pas du tout la même. Mais qui sait, peut-être que les Members of Parliament seront les prochains à être touchés par cette dynamique. Il n’est pas impossible que ce genre d’initiative donne du grain à moudre aux électeurs et aux législateurs; d’autres candidatures de ce genre pourraient bien voir le jour au Royaume-Uni et dans d’autres pays ces prochaines années.
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