Les physiciens disposent aujourd’hui de plusieurs manières de concevoir la gravité, mais elles tournent toutes autour d’un même concept : la masse. Que ce soit la loi universelle de la gravitation de Newton ou la relativité d’Einstein, tous ces modèles s’écroulent complètement sans un moyen de déterminer combien pèse un objet… ou du moins, c’était le cas jusqu’à présent. Dans une étude repérée par ScienceAlert, un chercheur vient de proposer une toute nouvelle conception de cette force fondamentale qui, cette fois, est complètement indépendante de la masse. De quoi en finir avec le modèle de la matière noire ?
La matière noire, c’est une entité mystérieuse qui est au cœur d’une quête scientifique de longue haleine. À ce jour, elle demeure techniquement hypothétique. En dépit de son abondance supposée, personne n’a réussi à l’observer ou à déterminer précisément de quoi elle est constituée, car elle n’interagit absolument pas avec les ondes électromagnétiques comme la lumière.
Un modèle convaincant, mais disputé
Si ce concept nébuleux tient debout, c’est uniquement parce qu’il permet de combler un vide scientifique. En effet, les forces gravitationnelles prévues par les théories de Newton et d’Einstein sont insuffisantes pour empêcher les galaxies de se disloquer sous l’effet de leur propre rotation. Les physiciens ont donc introduit la notion de matière noire, dont l’influence gravitationnelle additionnelle permet d’expliquer la structure, la dynamique et la répartition des galaxies telles qu’on les observe en pratique.
Même si ce modèle est aujourd’hui très populaire et relativement bien accepté, il ne fait pas entièrement l’unanimité. De nombreux chercheurs estiment que si nous n’avons pas trouvé de trace de la matière noire après avoir déployé autant d’efforts, c’est peut-être parce qu’elle n’existe tout simplement pas. Un tas de théories alternatives ont donc émergé pour combler ces lacunes théoriques, comme les modèles MOND, TeVeS, ou encore la gravité entropique pour ne citer qu’eux. Et les partisans de ces approches alternatives seront probablement très intéressés par les travaux de Richard Lieu, astrophysicien à l’Université de l’Alabama à Huntsville.
Des défauts de l’univers à l’origine de la gravité ?
Frustré par l’importance accordée à la matière noire par la communauté scientifique malgré l’absence de preuve directe depuis plus d’un siècle, il a décidé de prendre le taureau par les cornes et de se repencher sur l’équation de champ d’Einstein. Cette dernière est une des clés de voûte de sa célèbre théorie de la relativité. Elle décrit la façon dont la matière et l’énergie altèrent la géométrie de l’Univers ; ensemble, elles provoquent une courbure de l’espace-temps qui, dans le cadre de la relativité générale, correspond au champ gravitationnel de l’objet en question.
L’objectif de Lieu était de trouver une solution alternative à cette équation, ou plus précisément, à une forme simplifiée, l’équation de Poisson. Et c’est ce qu’il explique avoir trouvé dans son papier de recherche. Selon lui, « l’excès de gravité » indispensable pour expliquer la cohérence des galaxies pourrait provenir de défauts topologiques dans la structure du cosmos. Ces défauts auraient une forme de « coquille », et pourraient s’emboîter comme des poupées russes pour former de vastes structures susceptibles d’influencer la matière à très grande échelle.
Dans son papier, ces coquilles sont composées d’une couche interne de masse positive et d’une couche externe de masse négative. La masse totale de ces deux couches serait exactement nulle, ce qui rendrait donc la gravité indépendante de la notion de masse. En revanche, un objet comme une galaxie enfermé à l’intérieur de cette coquille subirait surtout l’influence de la couche interne. Il serait donc soumis à une force gravitationnelle très importante dirigée vers le centre de la structure, le forçant ainsi à rester cohérent. Avec un tel modèle, en théorie, il n’y aurait donc « plus besoin de perpétuer cette recherche sans fin de la matière noire », selon Lieu.
Un concept encore bancal, mais intéressant
Il faudra sans doute des arguments bien plus solides pour convaincre tous les astrophysiciens d’abandonner immédiatement cette grande quête scientifique — surtout que Lieu admet ouvertement que son étude comporte quelques lacunes majeures.
Par exemple, « ce papier n’essaie pas de résoudre le problème de la formation de ces structures », explique-t-il. En outre, il ne propose aucune manière de confirmer ou de réfuter l’existence de ces coquilles au moyen d’observations. Mais le chercheur explique que dans le contexte actuel où la recherche de la matière noire a tendance à stagner, cette hypothèse mérite tout de même d’être explorée — ne serait-ce que par curiosité scientifique.
« C’est la première preuve que la gravité peut techniquement exister sans masse », explique-t-il. « Bien sûr, le fait d’avoir une deuxième solution à disposition, même si elle est hautement suggestive, ne suffit pas à discréditer l’hypothèse de la matière noire — mais il pourrait au moins s’agir d’un exercice mathématique intéressant », conclut Lieu.
Le texte de l’étude est disponible ici.
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