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Grâce à l’IA, des chercheurs créent un super-aimant permanent sans terres rares

Une avancée potentiellement très intéressante pour le futur de l’automobile électrique, mais qui montre surtout à quel point le machine learning est en train de transformer la recherche scientifique.

À force d’écouter les géants de la tech bassiner le public avec des agents conversationnels calqués sur ChatGPT, on en oublierait presque à quel point le potentiel du machine learning est immense dans le domaine de la recherche.

Des chercheurs britanniques l’ont prouvé une nouvelle fois en concevant un aimant surpuissant sans terres rares grâce aux contributions d’un modèle IA propriétaire. Une  avancée qui pourrait sembler anecdotique, mais qui regorge d’implications très concrètes.

Les terres rares, le boulet des transports électriques

On pense notamment au domaine de l’automobile électrique. Aujourd’hui, près de 80 % de ces véhicules sont propulsés par des moteurs qui contiennent de puissants aimants, et l’industrie se retrouve donc dans une situation assez paradoxale. En effet, le premier argument des véhicules électriques est de réduire l’utilisation des combustibles fossiles, qui ont un impact désastreux sur l’environnement dans un contexte où le réchauffement climatique représente déjà une menace existentielle majeure.

Le problème, c’est que ces aimants indispensables à la démocratisation des voitures électriques sont généralement produits à partir de terres rares, comme le fameux néodyme. Ce sont des matériaux dont l’extraction est absolument catastrophique pour les écosystèmes locaux, notamment parce que ces procédés ont tendance à contaminer les sols de façon quasiment irréversible à notre échelle de temps. En outre, cette chaîne logistique consomme des quantités d’énergie astronomiques, est à l’origine de sérieuses frictions géopolitiques, et pose de gros problèmes d’ordre éthique et humanitaire.

Mountain Pass Mine Terres Rares
La mine de Mountain Pass, en Californie, illustre bien l’impact de l’exploitation des terres rares. © Tmy350 – Wikimedia Commons

Et la situation ne va sans doute pas s’améliorer, sachant que les analystes prévoient une explosion du nombre de véhicules électriques sur les prochaines années. De nombreux laboratoires et institutions se sont donc lancés à la poursuite d’une alternative, avec l’objectif de réduire la dépendance de cette industrie aux terres rares.

L’IA à la rescousse

Mais la science des matériaux est une discipline souvent ingrate à cause de sa complexité formidable. Pour comprendre et exploiter de nouveaux matériaux, il faut d’abord en explorer les propriétés chimiques, mécaniques, thermiques et électriques — des travaux de fond extrêmement fastidieux. Ajoutez à cela les considérations économiques qui compliquent encore l’équation, et on comprend aisément pourquoi les révolutions sont aussi rares dans ce domaine ; le plus souvent, il faut se contenter de petites avancées incrémentales. La startup Niron Magnetics, citée par New Atlas, en est un bon exemple. Elle a réussi à produire le premier aimant haute performance sans terres rares il y a plus de dix ans déjà… mais le procédé n’est toujours pas prêt pour la production de masse.

Ces dernières années, les spécialistes de la science des matériaux ont donc commencé à se tourner vers le machine learning pour accélérer le processus de découverte, avec des résultats déjà très encourageants. Fin 2022, des chercheurs ont par exemple présenté MG3Net, un modèle IA qui a permis de découvrir 31 millions de matériaux théoriques inconnus — dont certains avec des propriétés potentiellement très intéressantes.

C’est là qu’intervient Materials Nexus, une startup qui mise beaucoup sur cette technologie. Ses ingénieurs ont développé un modèle IA conçu spécifiquement pour guider les chercheurs vers un super-aimant sans terres rares. Grâce à la puissance combinatoire du machine learning, ce système a passé en revue des dizaines de millions de compositions chimiques possibles en tenant compte d’autres facteurs économiques et environnementaux importants.

Au bout du processus, cela a permis aux chercheurs d’identifier la recette théorique d’un tel aimant, qu’ils ont baptisé MagNex. Après avoir synthétisé et testé ce matériau en partenariat avec l’Université de Sheffield, ils ont eu le plaisir de constater qu’il est non seulement très performant, mais aussi qu’il coûterait théoriquement 20 % moins cher à produire en masse. Pour couronner le tout, le bilan carbone de ce MagNex serait 70 % plus faible que celui de la filière traditionnelle.

Un tout nouvel horizon pour la recherche

Reste à voir si cet aimant réussira à séduire l’industrie. Mais le plus intéressant, c’est qu’il s’agit d’un nouvel exemple qui illustre parfaitement le potentiel du machine learning dans la recherche — que ce soit en sciences des matériaux ou ailleurs.

Plus le temps passe, plus les chercheurs ont accès à de nouveaux outils formidables qui repoussent les limites de disciplines comme la physique des particules ou la biologie structurale. À ce jour, le meilleur exemple est sans doute AlphaFold, le modèle de DeepMind qui a révolutionné la science des protéines en produisant ce qu’on peut assimiler à un gigantesque catalogue d’origami moléculaire.

À l’époque, Arthur D. Levinson, fondateur d’une entreprise associée au projet, y voyait un premier exemple d’un grand changement de paradigme en sciences. « Cela montre comment les méthodes calculatoires sont parties pour transformer la recherche, et sont pleines de promesses pour accélérer le processus de découverte », expliquait-il.

Ces nouveaux résultats confirment une nouvelle fois ce pronostic. Au-delà des travaux de Materials Nexus, il conviendra donc de garder un œil sur la démocratisation de l’intelligence artificielle dans la sphère scientifique, car cette technologie pourrait bien faire partie des moteurs qui permettront à notre civilisation de basculer dans une nouvelle ère.

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