Ces derniers temps, le James Webb Space Telescope a rapporté une flopée de données fascinantes issues de JADES, une grande campagne d’observation centrée sur les régions les plus anciennes et éloignées de l’univers. Un vrai bonheur pour les astronomes, qui ont pu observer les objets les plus lointains à ce jour ou encore la naissance de galaxies à l’Aube cosmique. Et ce déluge ne semble pas prêt de s’arrêter. Récemment, une équipe de l’Université de Cambridge a annoncé avoir détecté du carbone dans une galaxie incroyablement ancienne — une observation qui pourrait déboucher sur une réécriture complète de l’histoire du cosmos… et de la vie.
La galaxie en question, baptisée JADES-GS-z12, a été observée tout juste 350 millions d’années après le Big Bang, dont on estime qu’il remonte lui-même à environ 13,8 milliards d’années. Ce n’est pas très loin du record absolu, qui est désormais détenu par GS-z14-0 — une autre galaxie récemment observée 300 millions d’années après le Big Bang. Elle se place donc également vers le début de l’Aube cosmique, la période où les toutes premières étoiles ont commencé à illuminer le cosmos.
Cela suffit déjà à en faire une belle trouvaille, car ce genre d’objet regorge de précieux indices sur l’évolution de l’Univers. « Les premières étoiles, c’est le Saint Graal de l’évolution chimique, » explique Francesco d’Eugenio, auteur principal de cette nouvelle étude. « Puisqu’elles ne sont constituées que d’éléments primordiaux, elles se comportent très différemment des étoiles modernes. En étudiant quand et comment les premiers métaux se sont formés dans les étoiles, on peut créer une chronologie pour les premières étapes qui ont mené à la formation de la vie », précise-t-il. Et c’est là que GS-z12 devient encore plus remarquable : sa composition chimique a pris les chercheurs complètement au dépourvu.
Du carbone il y a plus de 13,4 milliards d’années
Typiquement, on s’attend à ce que les étoiles les plus précoces soient composées en quasi-totalité d’hydrogène et d’hélium, les deux éléments primordiaux forgés par le Big Bang. Les éléments plus lourds comme le carbone, l’azote, l’oxygène, et ainsi de suite jusqu’au fer (ils sont tous appelés “métaux” dans ce contexte), ont commencé à émerger bien plus tard. Il a fallu attendre l’apparition des premiers astres, environ 200 millions d’années après le Big Bang, et le début de la nucléosynthèse stellaire — un processus qui, comme son nom l’indique, a lieu exclusivement dans la fournaise des étoiles matures.
Si ce modèle est aujourd’hui très largement accepté, les opinions des spécialistes divergent cependant sur la temporalité. Par exemple, ils considèrent généralement que l’oxygène a commencé à coloniser le cosmos très rapidement, en quelques centaines de milliers à peine. En revanche, plusieurs études ont conclu que le carbone, la brique essentielle des embryons planétaires et de la vie telle qu’on la connaît, ne s’est formé en grande quantité qu’après un bon milliard d’années.
Or, les astrophysiciens manquent cruellement de données concrètes pour vérifier ces scénarios… ou du moins, c’était le cas jusqu’à l’entrée en piste du JWST. Avec JADES, le roi des télescopes a encore jeté un gros pavé dans la mare. Lors d’une autre observation récente, il a détecté de l’oxygène dans la plus ancienne galaxie jamais repérée (voir notre article). Et désormais, l’équipe de Francesco D’Eugenio a détecté la signature chimique du carbone au sein de GS-z12 350 millions d’années après le Big Bang.
La vie remonte peut-être à l’Aube cosmique
En d’autres termes, cet élément serait apparu bien plus tôt que prévu. Il pourrait donc avoir été assez abondant au début de l’Aube cosmique – une information susceptible de faire vaciller les modèles qui décrivent les prémices de l’univers.
« Nous avons été surpris de voir tant de carbone si tôt dans l’univers, puisqu’on pensait que les premières étoiles produisaient beaucoup plus d’oxygène que de carbone », explique le co-auteur Roberto Maiolino. « Nous considérions que le carbone était arrivé bien plus tard, à travers un processus entièrement différent. Mais le fait qu’il apparaisse aussi tôt nous indique que les premières étoiles pourraient avoir fonctionné très différemment », résume-t-il.
Ce constat soulève aussi une autre possibilité fascinante. En effet, l’abondance de cet atome si près du Big Bang implique que la vie aurait éventuellement pu émerger très tôt dans l’histoire de notre monde !
« Le carbone étant fondamental pour la vie telle qu’on la connaît, on peut désormais douter du fait que la vie a forcément évolué beaucoup plus tard. Peut-être qu’elle a émergé bien plus tôt que prévu — même si elle aurait pu suivre une trajectoire très différente de celle qu’on connaît sur Terre, à supposer qu’elle existe autre part », propose D’Eugenio. Décidément, le Webb n’en finit plus de faire évoluer notre vision de l’Univers et de nos origines !
Le texte de l’étude est disponible ici.
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