En plus des fusées, des voitures électriques et de Mars, Elon Musk a une autre passion : les joutes verbales sur Twitter/X, son terrain de jeu préféré qu’il a racheté pour la bagatelle de 44 milliards de dollars. En ce début de semaine, il s’est trouvé un nouvel adversaire : Yann LeCun, le poids lourd franco-américain de l’intelligence artificielle.
Cette passe d’armes a commencé avec un post d’Elon Musk qui invitait ses lecteurs à rejoindre xAI, sa startup spécialisée dans l’intelligence artificielle qui vient de boucler une levée de fonds de 6 milliards de dollars. « Rejoignez xAI si vous croyez en notre mission de comprendre l’univers, ce qui nécessite la poursuite de la vérité la plus rigoureuse qui soit, sans s’embarrasser de la popularité ou du politiquement correct », a lancé le milliardaire.
LeCun à l’offensive
Une publicité qui n’a visiblement pas plu à LeCun. Pour ceux qui ne sont pas familiers du personnage, il s’agit d’un éminent chercheur en informatique, célèbre pour ses contributions majeures dans le domaine du machine learning et souvent décrit comme l’un des « parrains de l’IA ». Au-delà de son pedigree académique, LeCun est aussi connu pour son verbe mordant et ses prises de positions très tranchées, et il n’a pas fait dans la dentelle au moment de donner son avis sur l’entreprise de Musk.
« Rejoignez xAI si vous pouvez supporter un patron qui clame haut et fort que ce sur quoi vous travaillez sera résolu l’année prochaine (pas de pression), que ça va tuer tout le monde et doit être stoppé, et qui dit vouloir une “poursuite de la vérité la plus rigoureuse qui soit” alors qu’il vomit des théories du complot hallucinantes sur sa propre plateforme de réseaux sociaux », a attaqué le chercheur.
Join xAI if you can stand a boss who:
– claims that what you are working on will be solved next year (no pressure).
– claims that what you are working on will kill everyone and must be stopped or paused (yay, vacation for 6 months!).
– claims to want a “maximally rigorous pursuit…— Yann LeCun (@ylecun) May 27, 2024
Un débat au raz des pâquerettes
Une invective certes gratuite, mais pas dénuée de sens pour autant. Et sans surprise, elle a été mal accueillie par les partisans de l’entrepreneur. Lorsque l’un d’entre eux a demandé au chercheur d’expliquer le fond de sa pensée, il a commencé par répondre qu’il appréciait « les voitures, les fusées, les panneaux solaires et la constellation de satellites » de Musk (en référence à Tesla, SpaceX, SolarCity et Starlink), mais qu’il ne pouvait pas en dire autant de sa personnalité vindicative, de son côté complotiste et de la hype qui l’entoure.
Un autre internaute lui a alors demandé pourquoi il ne lançait pas sa propre entreprise d’intelligence artificielle (LeCun est aujourd’hui directeur de la recherche en IA chez Meta), ce à quoi il a répondu qu’il était « un scientifique, et pas un homme d’affaires ». C’en était trop pour Musk, qui y a vu une bonne occasion de ruer dans les brancards. « Yann ne fait que suivre les ordres », a-t-il déclaré en référence à son poste chez Meta. « Vous ne semblez pas comprendre comment la recherche fonctionne », a rétorqué son interlocuteur.
Une critique récurrente vis-à-vis de Musk, connu pour sa propension à s’immiscer dans les travaux de ses équipes même lorsqu’il ne dispose que de connaissances assez superficielles sur le sujet en question. Et apparemment, il n’était pas franchement au courant du pedigree du chercheur. Pour rappel, il a notamment reçu le Prix Turing, souvent décrit comme le Prix Nobel de l’informatique, en 2018.
« Et quelle “science” avez-vous produit sur les cinq dernières années ? », a continué Musk sur un ton sarcastique. Une attaque assez mal avisée, sachant que l’intéressé cumule des centaines de milliers de citations dans d’autres études — un chiffre énorme dans cette discipline. En outre, il a publié… plus de 80 articles de recherche rien que sur les deux dernières années. Et il ne s’agit pas de papiers vides destinés à booster des statistiques ; bon nombre de ces publications récentes ont déjà été citées dans des centaines d’autres études. Encore une fois, Musk a raté une occasion de faire profil bas… mais cela ne l’a pas empêché de tout faire pour avoir le dernier mot. « Ce n’est rien du tout, vous vous êtes ramolli. Faites plus d’efforts ! », a-t-il conclu sur un ton narquois.
Deux visions radicalement différentes de l’IA
Certes, cette prise de bec n’a rien de particulièrement glorieux, d’un côté comme de l’autre. En revanche, elle est tout de même assez révélatrice. Le fait qu’une personnalité aussi influente ait choisi d’attaquer un chercheur éminent sur son nombre de publications sans même prendre les deux minutes nécessaires pour vérifier le fond de son propos est assez inquiétant. Ce genre d’approximation est assez symptomatique des divagations du gourou connu pour poster tout ce qui lui passe par la tête avec un tact souvent… discutable.
Mais au-delà de la forme, cette discussion est surtout intéressante parce qu’elle montre à quel point l’IA divise le monde de la tech. Musk et LeCun sont deux excellents exemples de cette dynamique. Le premier s’est souvent montré assez alarmiste, affirmant régulièrement que l’IA pouvait représenter une « menace existentielle » pour l’humanité. Il a d’ailleurs apposé son nom au bas d’une pétition qui demandait une « pause » dans la recherche en IA, afin de couper court à « une course incontrôlée pour développer et déployer des systèmes d’IA toujours plus puissants que personne, pas même leurs créateurs, ne peut comprendre, prédire ou contrôler de manière fiable ».
Un positionnement que le chercheur a toujours fermement rejeté. Pour Yann LeCun, le machine learning est surtout un outil très puissant qui doit être traité comme tel. Cela signifie que les systèmes basés sur l’IA doivent être déployés avec précaution, comme toute nouvelle technologie, mais qu’il ne faut absolument pas sacrifier ces recherches à cause des inquiétudes alarmistes de ceux qui y voient le moteur de l’apocalypse. « L’IA n’est pas une sorte de phénomène naturel qui va simplement émerger de nulle part et devenir dangereux. NOUS la concevons, et NOUS la construisons […] Il est beaucoup trop tôt pour réguler l’IA afin d’éviter des “risques existentiels” », affirmait-il sur Twitter.
AI is not some sort of natural phenomenon that will just emerge and become dangerous.
*WE* design it and *WE* build it.I can imagine thousands of scenarios where a turbojet goes terribly wrong.
Yet we managed to make turbojets insanely reliable before deploying them widely.…— Yann LeCun (@ylecun) May 27, 2024
Deux points de vue dont il faudra tenir compte alors que l’IA s’immisce de plus en plus dans notre quotidien. Il conviendra donc de continuer ces débats sur les prochaines années afin que l’humanité puisse tirer parti de ces outils révolutionnaires sans prendre de risques inconsidérés. Espérons simplement que les prochains échanges seront moins puériles et surtout plus constructifs.
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Je dirais que soit LeCun (pas de vilain jeu de mots SVP) a fait preuve d’opportunisme en voulant faire parler de lui et de son projet chez Meta, soit qu’il est un conformiste étroit (les théories du complot, pas bien !) et qu’il a voulu à cette occasion surfer sur le Elon-Bashing en vogue depuis que le patron de SpaceX a racheté Twitter !
Je pense que c’est mal connaître Yann LeCun.