En mars dernier, les équipes de Neuralink ont publié plusieurs démonstrations des capacités de leur interface cerveau-machine éponyme, implantée pour la première fois sur un patient humain en début d’année, avec des résultats assez impressionnants à la clé. Elle a désormais reçu l’autorisation de réitérer l’expérience sur une deuxième personne pour continuer d’améliorer ce produit qui n’est encore clairement pas au point, comme l’ont montré quelques défaillances assez préoccupantes.
Cette histoire avait pourtant parfaitement commencé. Nolan Arbaugh, le premier patient paraplégique à avoir bénéficié de cette puce, a par exemple pu recommencer à se servir de son ordinateur en toute fluidité en contrôlant le curseur par la pensée, le tout sans le moindre problème cognitif apparent. Un succès sur lequel l’entreprise n’a pas hésité à surfer en mettant Arbaugh en scène dans plusieurs vidéos, dont une où on le voyait affronter son père dans une partie de Mario Kart.
Neuralink was kind enough to open their doors for me to tour their headquarters a few weeks back. It was an amazing experience and a day I'll never forget. This was at a company wide meeting at the end of the day. Thank you to everyone who made this possible. Hope y'all enjoy!… pic.twitter.com/YNa2Jtjhnk
— Noland Arbaugh (@ModdedQuad) March 22, 2024
Un sérieux problème de procédure
Mais tout n’était pas rose pour autant. Le 8 mai, Neuralink a révélé par voie de communiqué qu’une grande partie des fils truffés d’électrodes implantés dans le cerveau, indispensables au bon fonctionnement du système, n’étaient pas restés en place. Au total, environ 85% d’entre eux se sont déplacés !
Au lieu de procéder à une nouvelle opération chirurgicale pour repositionner ces fibres rétractées, l’entreprise a pris le parti d’ajuster son algorithme de traitement du signal pour compenser la perte de ces données, avec des résultats prometteurs mais tout de même assez hétérogènes — et de nombreuses incertitudes par rapport aux conséquences sur la santé du patient. Un yo-yo émotionnel très difficile à vivre pour l’intéressé. « Au début, j’étais vraiment sur un nuage, et le fait de replonger ainsi… ça a été très, très dur », a-t-il raconté dans une interview au Wall Street Journal.
Une mésaventure qui était malheureusement assez prévisible. En amont des premiers essais cliniques, plusieurs spécialistes avaient émis des doutes sur la capacité des fils à rester bien implantés. En effet, le cerveau n’est pas figé au sein de la boîte crânienne. Pour éviter qu’il soit endommagé au moindre choc, il repose dans un liquide cérébrospinal qui lui permet de se déplacer de quelques millimètres — une dynamique difficile à gérer dans ce contexte. Et ces pronostics ont été confirmés expérimentalement. Des sources anonymes citées par Reuters le 15 mai dernier ont révélé que des problèmes de ce genre avaient déjà été documentés lors des tests sur des animaux à plusieurs reprises. L’entreprise a malgré tout estimé que le risque était suffisamment faible pour être tolérable.
Un deuxième essai clinique en préparation
Heureusement, Arbaugh semble avoir retrouvé son optimisme ; il s’est consolé en se remémorant que son rôle de précurseur allait sans doute bénéficier à de nombreux autres patients sur le long terme. Neuralink, de son côté, continue aussi d’aller de l’avant. Récemment, elle a été autorisée par la FDA, l’agence de régulation américaine qui s’occupe des produits consommables, des médicaments et des dispositifs médicaux, à implanter son interface cerveau-machine dans le crâne d’un second patient.
Il sera donc intéressant de voir comment l’entreprise compte régler ce problème d’implantation des électrodes. Car si ce genre de déconvenue n’a rien d’étonnant pour un premier essai clinique, cela deviendra de plus en plus inacceptable au fil du temps. Neuralink, qui compte opérer plus de 20 000 patients d’ici de la fin de la décennie, se devra donc d’en faire une priorité.
Or, les solutions potentielles ne se bousculent pas au portillon. Impossible, par exemple, d’ancrer les fibres dans le cerveau pour les empêcher de se rétracter. En cas de mouvement brusque, elles pourraient provoquer des lésions dangereuses, sans parler des difficultés supplémentaires que cela poserait lors d’une éventuelle extraction de la puce. Selon Ars Technica, l’entreprise a opté pour une approche relativement simple : chez le nouveau patient, les fils seront implantés plus profondément dans l’encéphale (8 mm contre 3 à 5 mm chez Arbaugh). Un des principaux enjeux de ce deuxième essai sera donc de vérifier si cette marge de manœuvre supplémentaire permettra au fils de rester correctement positionnés, ou s’ils vont à nouveau se rétracter.
Neuralink est en retard
Le cas échéant, Neuralink se retrouverait alors dans une situation très inconfortable. Car pour rappel, malgré ses efforts de communication et ses démonstrations assez impressionnantes, il convient de rappeler que l’entreprise d’Elon Musk est loin d’être le fer de lance de cette niche technologique. Elle affiche tout de même un retard significatif sur les leaders du secteur comme Synchron, dont le processus est plus mature et ne nécessite pas de chirurgie à crâne ouvert ; à la place, la puce est installée par voir veineuse. Cette startup new-yorkaise a récemment bouclé une étude de plusieurs mois où aucun participant n’a rencontré de problèmes comparables à ceux de Neuralink. Selon Reuters, elle prévoit aussi un essai à grande échelle encore plus ambitieux qui devrait débuter d’ici quelques mois.
Il sera donc intéressant de suivre cette course entre startups spécialisées dans les interfaces cerveau machine ; ce qui est sûr, c’est que l’écurie d’Elon Musk devra apporter des résultats très solides lors de son deuxième essai pour coller aux ambitions de son grand manitou.
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“L’entreprise a malgré tout estimé que le risque était suffisamment faible pour être tolérable.”
Pas que, pour que l’essai soit accepté, toutes ces données ont dues être fournies et analysées par les organismes publics américains. Ils ont donc validé le protocole de test en ayant normalement lu ce “petit” problème.