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OpenCRISPR-1 : quand l’IA s’attaque à l’ingénierie génétique

CRISPR-Cas9, l’outil d’édition génétique qui a complètement révolutionné les biotechnologies, va bientôt avoir des petits frères grâce à un nouveau modèle d’IA générative. Pour le meilleur et pour le pire.

L’intelligence artificielle est en train de transformer des tas de disciplines, et les sciences du vivant ne font pas exception. Par exemple, on voit régulièrement apparaître de nouveaux outils médicaux spécialisés dans le diagnostic ou les statistiques de santé publique qui commencent déjà à transformer la façon de travailler des praticiens et des chercheurs… et ce n’est qu’un début. Désormais, le machine learning commence même à s’inviter dans le domaine particulièrement sensible des biotechnologies, et plus spécifiquement de la manipulation génétique.

Profluent, une entreprise américaine spécialisée dans les protéines, vient de dévoiler un nouvel outil qui pourrait ouvrir la voie à une ribambelle de travaux aussi fascinants que terrifiants. Et pour cause : ce système baptisé OpenCRISPR-1 est présenté comme le « premier éditeur de gène généré par l’IA ».

CRISPR-Cas9, une révolution de la bioingénierie

Si ce sobriquet vous rappelle quelque chose, c’est parce qu’il est dérivé de CRISPR-Cas9, l’outil d’édition génétique qui a révolutionné la biologie jusque dans ses fondements. Il permet de modifier une séquence d’ADN à partir de deux éléments extraits de micro-organismes, où ils servent de mécanisme de défense et de régénération. La première composante, CRISPR, est une petite séquence génétique conçue pour correspondre à une autre séquence d’ADN. Elle sert de guide pour viser une portion bien précise du morceau d’ADN ciblé. La deuxième, Cas-9, se comporte comme une sorte de couteau moléculaire. Son objectif est de couper la séquence ciblée à l’endroit voulu avec une précision chirurgicale, soit pour la supprimer, soit pour la remplacer par une autre.

Ces manipulations peuvent modifier considérablement les propriétés de l’organisme ciblé. On peut s’en servir pour produire des plantes résistantes à certains pathogènes, pour rendre des cellules fluorescentes à des fins de recherche fondamentale, dans le cadre de procédures de thérapie génique… en d’autres termes, son potentiel est pratiquement infini. Depuis qu’il a été conçu par la Française Emmanuelle Charpentier et sa collègue Jennifer Doudna, avec un prix Nobel à la clé, il s’est imposé dans la quasi-totalité des laboratoires de recherche en biotechnologie et a ouvert la voie à des tas de travaux révolutionnaires dans de nombreux domaines.

OpenCRISPR, un générateur d’outils d’édition génétique

Profluent veut faire passer cette approche à la vitesse supérieure grâce à l’intelligence artificielle générative. Prenez par exemple un agent conversationnel comme ChatGPT. Comme les autres outils de ce genre, il s’appuie sur un réseau de neurones artificiels qui apprend à identifier les liens entre la requête de l’utilisateur et le contenu des millions de textes qui ont servi à l’entraîner.

En substance, OpenCRISPR-1 travaille de la même façon. Il a été entraîné à partir d’une montagne de séquences d’acides nucléiques — les éléments constitutifs de l’ADN, le support de stockage de l’information génétique. Grâce à ces données, il a pu apprendre à “imaginer” de tout nouveaux éditeurs de gène synthétiques, basés sur d’autres composants biologiques que le complexe CRISPR-Cas9.

En théorie, cette approche pourrait permettre de créer des outils d’ingénierie génétique encore plus performants que ce dernier, qui comporte tout de même quelques lacunes significatives. Il faudra toutefois attendre des essais cliniques en bonne et due forme pour le confirmer. Mais quoi qu’il en soit, il s’agit d’une preuve de concept remarquable et pleine d’implications très profondes : l’intelligence artificielle est désormais capable d’ “inventer” des outils capables d’altérer le génome des êtres vivants, y compris les humains.

Et Profluent compte en faire profiter le reste de la communauté scientifique — jusqu’à un certain point. D’après le New York Times, elle va se réserver l’usage exclusif du modèle IA qui permet de produire ces éditeurs génétiques, mais ces derniers seront systématiquement publiés en open-source.

Une technologie à double tranchant

Une perspective qui risque de générer une certaine anxiété chez certains observateurs. Après tout, est-ce bien responsable de mettre un outil aussi puissant à disposition de tout le monde ? La question est légitime, sachant que CRISPR a déjà permis à certains chercheurs peu scrupuleux de se livrer à des travaux éthiquement très discutables.

On peut citer la fameuse « Affaire He Jiankui ». Pour rappel, cet obscur chercheur chinois a franchi la ligne rouge lorsqu’il a édité en secret le génome de deux jumelles à l’état d’embryons. Une initiative qui lui a valu d’être mis au pilori par la quasi-totalité du monde académique. Jiankui a ensuite écopé d’une peine de prison, et le gouvernement chinois en a profité pour mettre en place un comité d’éthique pour réglementer strictement ces pratiques.

Si les réactions ont été aussi vives, c’est parce que la science manque encore de recul sur cette technologie relativement récente. Il est tout à fait possible que de telles manipulations débouchent sur des effets secondaires aussi inattendus que catastrophiques sur la santé humaine ou la biodiversité. L’édition de gènes pourrait aussi être exploitée dans le cadre d’une démarche eugéniste pour créer des « super-humains » sur mesure, avec tout ce que cela implique pour notre société. En outre, CRISPR et ses analogues pourraient aussi servir à créer des armes bactériologiques, et ainsi de suite.

Il serait malhonnête de balayer ces scénarios catastrophes d’un revers de la main. Mais en pratique, la technologie actuelle ouvre déjà la porte à ce genre de dérives, et l’arrivée de ces simili-CRISPR ne fera donc pas une grande différence à ce niveau.

Par contre, de l’autre côté du spectre, les bénéfices pourraient être immenses. Utilisées de façon responsable, ces nouvelles variantes de CRISPR-Cas9 pourraient ouvrir la voie à des progrès encore plus révolutionnaires que l’originale. Des thérapies géniques pour soigner des maladies incurables aux bactéries modifiées modifiées pour produire des médicaments hors de prix à moindre coût, en passant par des super-plantes pour nourrir toute la planète… le potentiel de l’ingénierie génétique est virtuellement illimité, à condition de l’utiliser à bon escient. Il sera donc fascinant de suivre les contributions de l’IA dans ce domaine de la recherche qui pourrait transformer notre civilisation, pour le meilleur comme pour le pire.

Le texte de l’étude est disponible ici.

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