Jupiter, dispose d’une vaste collection de lunes qui cumulent les superlatifs, comme Io. Cette dernière est le siège d’une activité volcanique exceptionnelle, de loin la plus intense du système solaire. En effet, ce satellite naturel aux proportions modestes (elle est à peine plus grande que notre Lune) héberge plus de 400 volcans très actifs qui crachent d’énormes quantités de lave, de soufre et de dioxyde de carbone, parfois dans des panaches de plusieurs centaines de kilomètres d’altitude. Ce volcanisme est si violent qu’il remodèle constamment la surface de la planète, à tel point qu’on ne distingue quasiment aucun cratère laissé par l’impact d’autres corps célestes ; ils ont presque tous été ensevelis sous la lave.
Tout récemment, les équipes de la NASA ont eu une belle opportunité de documenter ces phénomènes volcaniques grâce à Juno. Cette sonde est spécialisée dans l’étude de Jupiter ; mais au fil de ses rotations autour de la plus grande planète du système solaire, il lui arrive aussi de survoler la surface de sa petite sœur incandescente.
Or, lors de ses deux derniers passages, elle a frôlé la planète à environ 1500 kilomètres d’altitude. Il s’agit d’un record : aucun objet humain ne s’est jamais approché aussi près de cette lune. Une occasion en or de récolter des données précieuses qui ont permis à l’agence spatiale de nous offrir un nouveau regard sur plusieurs zones particulièrement remarquables.
Un lac de verre volcanique et une étrange tour géologique
La première est Loki Patera, un immense lac de lave de plus de 200 kilomètres de long. Depuis qu’il a été découvert par la légendaire sonde Voyager en 1979, les chercheurs partaient du principe qu’il était entièrement constitué de lave liquide. Mais le passage de Juno a changé la donne. En analysant les données de son dernier survol, les planétologues ont constaté qu’il était particulièrement lisse, ce qui semble incompatible avec cette interprétation. L’explication la plus probable, c’est que tout ce matériel soit en train de refroidir et de se transformer en un matériau vitreux, un peu comme l’obsidienne qui se forme sur Terre lorsque certains types de lave refroidissent très rapidement.
En plus de ce « lac de verre », les données de Juno ont aussi permis aux chercheurs de reconstituer le profil d’un autre objet très étonnant. Il s’agit de la Montagne du Clocher, une structure de 5 à 7 km de haut surmontée de deux pics caractéristiques. L’édifice est sans doute d’origine volcanique, mais à l’heure actuelle, personne ne sait exactement quel genre de processus a pu lui donner sa forme si particulière. Les chercheurs vont continuer de l’étudier, car il pourrait receler des informations précieuses sur l’histoire géologique d’Io.
Pour y voir plus clair, il pourrait être intéressant de remonter aux origines de ce volcanisme. S’agit-il d’un phénomène récent, ou la planète est-elle active depuis très longtemps ?
Un mécanisme de recyclage du soufre
La réponse à cette question repose, entre autres, sur la relation particulière qu’entretiennent les lunes joviennes. En effet, Io est prise dans une sorte de sandwich gravitationnel entre Jupiter d’un côté, et ses cousines Europa et Ganymède de l’autre. Elle est donc soumise à des forces gravitationnelles intenses et variables qui génèrent un stress mécanique important dans la roche. Techniquement, il s’agit de forces de marée, de la même façon que notre Lune influe sur nos océans — mais à une échelle nettement plus importante. Dans le cas d’Io, ce stress mécanique se traduit par une montée en température importante qui se manifeste à travers ce volcanisme.
Pour remonter aux origines du phénomène, des chercheurs se sont penchés sur la composition chimique de l’atmosphère d’Io grâce à l’ALMA, un gigantesque interféromètre composé de 66 radiotélescopes construits sur un haut plateau au Chili. Plus spécifiquement, ils ont analysé la répartition de deux isotopes du dioxyde de soufre émis par les éruptions : un relativement lourd, et l’autre légèrement plus léger.
Les modèles prévisionnels suggèrent que la variante lourde devrait être présente en plus grande quantité. En effet, l’isotope léger est plus susceptible de dériver jusqu’à la frontière de l’atmosphère et d’échapper à la faible emprise gravitationnelle d’Io. Et c’est effectivement ce que les auteurs ont constaté… mais avec une différence beaucoup plus importante que prévu. En effet, l’isotope lourd était extrêmement abondant, bien plus que dans les modèles théoriques.
Selon les chercheurs, il n’y a qu’une seule piste capable d’expliquer cette incohérence. Pour obtenir un tel écart, il faut qu’Io dispose d’un mécanisme de recyclage à très grande échelle. L’isotope lourd du dioxyde de soufre reprendrait le chemin de la surface, serait réincorporé aux entrailles de la planète, puis rejaillirait à la faveur des éruptions avant de recommencer le cycle. Ce modèle est intéressant, parce qu’il implique que le volcanisme remonte à la formation de cette lune ; selon cette théorie, Io aurait été géologiquement active depuis le tout début de son histoire.
Un immense stratovolcan sphérique ?
Mais cette réponse fait aussi émerger une autre question brûlante : quels sont les mécanismes impliqués dans ce recyclage ? Il pourrait s’agir d’un équivalent de la tectonique des plaques terrestres, où le soufre serait enseveli par de vastes plaques de roche en subduction. Mais en l’état, cette hypothèse est invérifiable. Puisque la surface est renouvelée en permanence par le volcanisme, elle ne présente aucune trace de mouvements de ce type.
L’autre hypothèse, plus séduisante, repose directement sur ce renouvellement dynamique. On peut imaginer que chaque dépôt de lave successif piège le soufre qui s’accumule à la surface. En parallèle, l’ensemble de la planète serait compacté par la gravitation, et tout son manteau se comporterait donc comme une sorte de grand tapis roulant sphérique — ou plutôt comme un gigantesque stratovolcan en forme de planète.
Malheureusement, il va être difficile d’obtenir une réponse définitive, car aucune agence spatiale ne prévoit actuellement de déployer un engin spécifiquement dédié à l’étude d’Io. L’ESA a par exemple donné la priorité aux lunes glacées de Jupiter (Ganymède, Callisto et Europa), qui seront explorées par la sonde JUICE lors de la prochaine décennie. En outre, Juno ne va pas repasser aussi près de cet enfer volcanique avant de nombreuses années. La dynamique interne d’Io risque donc de rester secrète encore un certain temps.
Le texte de l’étude est disponible ici.
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