À l’automne 2023, le télescope James Webb a fait une découverte stupéfiante dans la célèbre nébuleuse d’Orion ; il y a identifié des centaines de planètes errantes qui, contrairement à notre Terre ou à Mars, n’orbitent pas autour d’une étoile. À la place, elles parcourent le cosmos en solitaire — du moins pour la plupart d’entre elles. Car l’élément le plus étonnant de cette campagne, c’est que le roi des télescopes en a repéré quelques dizaines qui semblent se déplacer en couple.
Or, personne ne sait exactement comment déterminer l’origine de ces planètes vagabondes. Récemment, un chercheur s’est intéressé de plus près à ce mystère. Ses travaux, repérés par UniverseToday, ne suffiront pas à clore le dossier ; mais ils font toutefois permis d’écarter certaines pistes pour se rapprocher considérablement de la réponse.
Il existe deux hypothèses majeures pour expliquer la formation des planètes errantes. Dans le premier cas, elles se forment dans un nuage de gaz et de poussière isolé, sans lien avec une étoile. Alternativement, elles peuvent aussi se former normalement à travers le processus d’accrétion, où le gaz et la poussière contenus dans le disque protoplanétaire d’une jeune étoile se compactent jusqu’à créer un nouvel objet. Selon ce scénario, elles sont ensuite éjectées de leur berceau par l’influence gravitationnelle d’un autre objet massif passé à proximité.
Des millions d’années de simulation
Gavin Coleman, un astrophysicien affilié à l’Université Queen Mary de Londres, a cherché un moyen de faire la différence entre ces deux populations pour identifier l’origine de ces objets. Dans sa nouvelle étude, il a tenté de remonter le fil de l’histoire grâce à des simulations informatiques. Il a simulé des planètes vagabondes qui seraient nées dans des systèmes d’étoiles binaires, où les planètes orbitent autour de deux étoiles qui tournent autour d’un même centre de gravité.
S’il a choisi de s’intéresser à cet environnement en particulier, c’est parce qu’il est particulièrement propice au second scénario mentionné plus haut. Dans un système d’étoiles binaire, les planètes ont beaucoup plus de chances d’être éjectées que dans une région plus classique comme notre système solaire, car les trajectoires des différents objets y sont nettement moins stables.
Pour réaliser ce type de simulation, il faut toutefois disposer d’un ensemble de paramètres initiaux solides. Coleman s’est donc basé sur un système binaire déjà bien connu des astronomes : TOI 1338. Il s’agissait d’un candidat idéal pour deux raisons. En premier lieu, il est relativement jeune, et présente un disque protoplanétaire fertile et propice à la formation de planètes gazeuses. De plus, on sait qu’il héberge au moins une planète (BEBOP-1) dite circumbinaire, en orbite autour du couple d’étoiles.
Grâce à cette référence, Coleman a pu générer un ensemble de simulations sur 10 millions d’années en faisant varier différents paramètres, comme la distance entre les deux étoiles, la masse du disque protoplanétaire, et ainsi de suite.
Une affaire de vélocité
Au bout du processus, il a constaté que ces systèmes binaires avaient tendance à éjecter rapidement les planètes qui y résident. En effet, dans chacune des simulations, il a constaté l’éjection de deux à sept planètes de masse supérieure à celle de la Terre. Dans 60 % des cas, il a aussi observé l’éjection d’une planète géante comparable à Jupiter. En outre, tout ce matériel était généralement expédié en dehors du système dans un délai relativement court à l’échelle astronomique, entre 0,4 et 4 millions d’années après le début de la simulation.
Mais en analysant les simulations de plus près, Coleman a mis le doigt sur un autre paramètre potentiellement crucial dans la résolution du problème : la vitesse. En effet, les forces gravitationnelles générées par ces couples d’étoiles sont très importantes. Lorsque les conditions sont réunies, elles ne se contentent donc pas de pousser gentiment la planète en dehors de son orbite : à la place, cette dernière se retrouve catapultée à très grande vitesse, comme propulsée par une sorte d’immense fronde cosmique.
Dans les simulations du chercheur, la vitesse des planètes ainsi éjectées par un système binaire était largement supérieure à celle de leurs cousines qui se sont formées spontanément loin d’une étoile. Il en a donc conclu que ce paramètre pouvait être utilisé pour déterminer l’origine d’une planète vagabonde. Les plus rapides se sont vraisemblablement formées à proximité d’une ou plusieurs étoiles ; à l’inverse, les plus lentes sont probablement nées dans un grand nuage de poussière et de gaz, à bonne distance de tout astre.
Une piste encore insuffisante, mais prometteuse
Mais gare à ne pas mettre la charrue avant les bœufs. Malgré la solidité de la méthodologie, cette étude reste basée sur des simulations, et comporte donc des limites importantes. D’ailleurs, l’auteur insiste lourdement dessus dans la conclusion de son papier. « Même si ces travaux contiennent de nombreuses simulations et explorent un large éventail de paramètres, ils ne sont pas représentatifs de toute la population des planètes circumbinaires », indique Coleman. Pour y parvenir, il faudrait réaliser des simulations exponentiellement plus complexes que même les meilleurs supercalculateurs du moment ne pourraient pas encaisser.
Malgré ces lacunes, ces travaux représentent tout de même un vrai pas en avant ; c’est la première fois qu’une piste satisfaisante et cohérente propose un moyen de remonter aux origines des planètes errantes. Cela permettra donc aux astronomes de mieux comprendre la dynamique de ces objets encore mystérieux en attendant de pouvoir réaliser des simulations encore plus ambitieuses.
Coleman, de son côté, n’a pas l’intention d’attendre une révolution de l’informatique haute performance pour aller plus loin. Dans un futur proche, il espère pouvoir identifier de nouveaux critères basés non pas sur les mouvements, mais sur la composition chimique de ces grands baroudeurs de l’espace. Il sera très intéressant de voir jusqu’où l’astronome et ses collègues pourront aller grâce aux découvertes des télescopes comme le James Webb, ou le Nancy Grace Roman qui va rapporter un « torrent de données » d’ici quelques années.
Le texte de l’étude est disponible ici.
🟣 Pour ne manquer aucune news sur le Journal du Geek, abonnez-vous sur Google Actualités. Et si vous nous adorez, on a une newsletter tous les matins.
Si vous trouvez une lune errante qui est partie de l’orbite terrestre le 13 septembre 1999 faites nous signe 😉