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Grâce au lithium, des physiciens repoussent les limites de la fusion nucléaire

Ce matériau très utilisé dans les batteries peut aider à maintenir la stabilité des réactions de fusion nucléaire.

Des chercheurs du Plasma Physics Laboratory (PPL), un laboratoire de la prestigieuse université de Princeton, ont récemment présenté un nouveau concept qui pourrait contribuer à une grande révolution dans le domaine de l’énergie. Ils ont montré qu’un matériau typiquement associé aux batteries peut aussi améliorer considérablement la stabilité des tokamaks, ces réacteurs expérimentaux avec lesquels les chercheurs tentent d’amener la fusion nucléaire à maturité.

L’objectif de ces engins, comme ITER, c’est en substance de cuisiner un Soleil miniature. Pour y parvenir, les ingénieurs emprisonnent un plasma chauffé à une température démoniaque (généralement supérieure à 100 millions de degrés) dans l’enclave du réacteur. Le problème, c’est qu’il n’existe aucun objet capable de supporter une telle fournaise. Au lieu d’attendre une éventuelle révolution en sciences des matériaux, ils ont donc choisi d’utiliser des bobines magnétiques surpuissantes pour maintenir ce matériel constitué de particules chargées à bonne distance des parois.

Dompter le plasma, une des clés de la fusion

Le concept est à la fois très élégant et très solide en théorie — mais c’est une autre histoire lorsqu’il s’agit de passer à la phase concrète. Car si les mécanismes de la fusion nucléaire sont paradoxalement assez bien connus aujourd’hui, le plasma est un animal terriblement capricieux. Il est difficile de maintenir sa stabilité pour entretenir la réaction sur une durée prolongée.

Cette volatilité est en grande partie due à un phénomène qui se déroule à la frontière de la poche de plasma. Lors de la réaction entre les atomes de tritium et de deutérium, le couple d’éléments que l’on fait fusionner dans les tokamaks, différents processus peuvent aboutir à la production d’atomes d’hydrogène. Or, ces atomes sont électriquement neutres ; ils sont donc invulnérables au champ magnétique qui confine le plasma. Par conséquent, ils sont libres de migrer vers l’extérieur avant de rebondir sur les parois du réacteur. Lorsqu’ils pénètrent à nouveau dans le plasma, ils le déstabilisent, ce qui impacte fortement l’efficacité de la réaction.

Les chercheurs explorent donc différentes approches pour dompter cette mixture d’ions surchauffés. Par exemple, en 2022, DeepMind a présenté une nouvelle approche basée sur l’intelligence artificielle. Ses chercheurs ont utilisé un couple d’algorithmes de machine learning pour explorer diverses configurations du plasma, afin d’identifier celles qui sont les plus stables.

Le lithium, un garde-fou pour le plasma

Les troupes du PPL, de leur côté, ont opté pour une idée différente qui repose sur le lithium. Ce métal alcalin est surtout connu dans un autre domaine de l’énergie ; c’est un composant crucial de la cathode des batteries Li-ion qui alimentent la majorité de nos appareils électroniques. Mais les auteurs expliquent que ce matériau présente aussi une autre caractéristique très utile : il est capable de piéger les atomes d’hydrogène avec une efficacité redoutable.

Lingots Lithium
Des lingots de lithium. © Dnn87

Les chercheurs de Princeton ont donc recouvert les parois du petit tokamak du PPL, baptisé LTX-β, avec une couche de lithium liquide. Grâce à ce revêtement, ils espéraient capturer ces atomes d’hydrogène vagabonds pour les empêcher de rebondir dans le plasma et de perturber le bon déroulement de la réaction. Et les résultats se sont avérés très intéressants.

Pour estimer la stabilité de la réaction, les physiciens se basent en partie sur la différence de température entre le cœur et le bord du plasma. Plus elle est élevée, plus la réaction devient difficile à contrôler et menace de retomber. Or, la température à la périphérie est intimement liée à la densité des particules neutres (en l’occurrence, ces fameux atomes d’hydrogène) à la frontière du plasma. Au-delà d’un certain nombre de particules neutres au bord du plasma, la température locale chute et le système est déstabilisé, ce qui menace l’intégrité du plasma et peut faire retomber la réaction.

À travers leurs expériences, les chercheurs du PPL ont constaté que le revêtement de lithium permet de réduire fortement la densité des particules neutres, ce qui se traduit par une température plus uniforme d’un bout à l’autre du plasma. Par extension, on obtient donc une réaction nettement plus stable.

Un pas de plus vers la fusion commerciale

Cela ne signifie pas nécessairement qu’il va falloir modifier les plus grands réacteurs comme ITER pour y ajouter une couche de lithium. Si ces travaux sont prometteurs, c’est surtout parce qu’ils ont permis aux chercheurs de mesurer précisément le seuil de densité des particules neutres à partir duquel la réaction est déstabilisée. En s’appuyant sur cette valeur, les autres chercheurs pourront ajouter juste ce qu’il faut de combustible à leurs réacteurs pour maintenir la quantité de particules neutres à un niveau acceptable, ce qui devrait améliorer significativement la stabilité du système.

Évidemment, nous sommes encore loin de savoir plier un petit soleil artificiel à notre volonté. Pour être honnête, il n’y a même aucune garantie que nous y parviendrons. Mais c’est ce genre de travaux qui permettra de continuer à avancer.

Il sera donc intéressant de suivre les autres travaux du PPL et des autres institutions qui travaillent avec des tokamaks, car les pièces manquantes de ce puzzle qui pourrait transformer complètement notre civilisation proviendront sans doute de leurs contributions.

Le texte de l’étude est disponible ici.

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9 commentaires
  1. Bonjour , pourquoi ne pas utiliser. Un jetd’argon tangentiel et entourer le réacteur d’une ou deux spires siège d’une tension-courant HF très élevée?

    1. Si il serais possible de faire en sorte que la temperature ambiante du tokamak soie la meme que dans l espace avec les memes proprieté du vide spacial, il y a de forte chance que les gaz interagisse differament , dout la dillatation externe et l implosion interne de notre etoile…

  2. Très intéressant et cela peut sûrement contribuer à créer une source d’énergie non polluante, bon marché (hors le prix du tokamak évidemment) ,et qui ne rejette pas de co2.

    La production d’énergie par fusion nucléaire est primordial pour l’humanité et on doit y parvenir le plus vite possible, que ce soit par confinement magnétique ou inertiel.

    Je crois quand même que le confinement magnétique est de loin la solution la meilleure

  3. C’est bien la première fois que je comprends à peu près ce qui est expliqué…!
    Félicitations au rédacteur !

  4. Encourageant ! Mais le chemin est encore bien long et tortueux. Y a encore du boulot avant de pouvoir maintenir une fusion correcte dans un plasma stable dans le temps pour produire et utiliser l’énergie produite. Ça avance doucement. Bon, faut juste que cela soit utilisable avant notre effondrement…

  5. facile pour lui, sa masse, sa gravité, mais tout ce qui est moins lourd qu une etoile, donc des milliers de fois la masse de la terre (voi des millions) ne peut y arriver sans un confinement forcé externe.

  6. Bravo pour le résumé de ce texte imbuvable des émetteurs spécialistes.
    Si la physique compte en l’occurence pour beaucoup, les alea de construction mécanique/chaudronnerie sont des étapes tout autant difficiles à surmonter (Cf les défauts de fabrications sur une “tranche” d’ITER qui compromettent tout l’ensemble, les tolérances n’ayant pu être respectées par le fabricant Sud-Coréen). Avez-vous des nouvelles de leurs ennuis à Cadarache ? Ils semberaient bien pudiques.
    Un ancien du NET Team devenu ITER

    NB: vous auriez pu mentionner aussi que le Li sert à fabriquer le tritium nécessaire à la réaction de fusion ou aux bombes à hydrogène

Les commentaires sont fermés.

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