Depuis que le génome humain a été séquencé pour la toute première fois en 2003, il y a une question qui revient régulièrement sur la table : les plus grands génies de l’histoire de notre espèce ont-ils simplement eu la chance d’être gâtés par la nature ? Récemment, du prestigieux institut Max Planck se sont repenchés sur la question en analysant le cas de Ludwig van Beethoven, reconnu comme l’un des plus grands noms de l’Histoire de la musique occidentale. Une étude qui comporte des limites très importantes… mais qui a tout de même le mérite de nous rappeler qu’il faut être extrêmement prudent au moment d’interpréter ce genre d’analyse.
Le protocole expérimental des chercheurs se base sur des prélèvements d’ADN réalisés sur des cheveux préservés. C’est un sujet d’étude très prisé ; l’année dernière, ce matériel avait déjà permis de révéler un étonnant secret de famille de l’illustre compositeur.
Mais entre temps, d’autres chercheurs ont mené une énorme étude sur plus de 600 000 personnes pour documenter d’éventuels liens entre certains éléments du génome et le talent musical. Ils ont notamment identifié 69 gènes associés à la coordination et à la synchronisation, très importants pour la capacité à tenir un rythme.
Les auteurs de cette nouvelle étude ont choisi d’explorer le génome de Beethoven à la lumière de ces nouvelles informations. Ils ont notamment calculé ce qu’on appelle un indice polygénique (ou PGI, pour PolyGenic Index). Il s’agit d’un score qui permet d’estimer la prédisposition d’un individu à certains traits. Ils ont ensuite comparé ce score à celui de la population globale pour déterminer déterminer si leur sujet disposait d’un talent rythmique inné. Une particularité qui est parfois associée à un certain talent pour la musique, même si ce lien n’est pas toujours pertinent (voir plus bas).
Au bout du protocole, ils ont conclu que Beethoven ne présentait aucune prédisposition génétique de ce genre. Son PGI était même étonnamment bas par rapport à la moyenne des humains d’aujourd’hui. « Un des musiciens les plus acclamés de l’histoire avait un score polygénique relativement bas pour la musicalité générale par rapport au reste de la population », expliquent les auteurs de l’étude.
De grosses limites méthodologiques
Un constat pas dénué d’intérêt — mais qu’il faut absolument interpréter avec prudence. En effet, la méthodologie des chercheurs est loin d’être infaillible.
Pour commencer, cette étude repose entièrement sur l’idée que le génie musical est directement corrélé au fait de pouvoir tenir un rythme avec une précision diabolique. Or, s’il s’agit d’une compétence indispensable pour un musicien virtuose, c’est beaucoup moins important pour la composition, qui restait le principal point fort de Beethoven. Et même si c’était le cas, ce critère est largement insuffisant pour représenter à lui seul les capacités musicales d’un individu.
De plus, ce genre d’étude génétique n’est pas un outil pertinent pour tirer des conclusions fiables à l’échelle d’un individu. Les outils analytiques comme l’indice polygénique ont été inventés pour étudier des tendances à l’échelle de la population, et ce dans un contexte bien spécifique.
Or, ici, nous sommes aussi confrontés à un problème au niveau de l’ensemble de données utilisé. Et pour cause : il est tout sauf représentatif. On peut imaginer des dizaines de facteurs sociaux et environnementaux qui auraient pu modifier le paysage génétique de la population entre l’époque de Beethoven et la nôtre. Comparer son score à celui de nos contemporains a donc assez peu d’intérêt.
Gare aux conclusions hâtives
Mais les chercheurs sont conscients de ces limites. Ils estiment que le vrai intérêt de cette étude, c’est qu’elle montre à quel point il faut absolument se méfier des discours qui associent le génie à une quelconque prédisposition génétique. Et ce quelle que soit la discipline.
« Vous devriez être sceptique si quelqu’un affirme pouvoir utiliser un test génétique pour déterminer de façon fiable si votre enfant sera doué en musique — ou particulièrement talentueux dans un autre domaine », explique Simon Fisher, professeur de linguistique et de génétique à l’institut Max Planck.
« Évidemment, ce serait faux de conclure que les capacités musicales de Beethoven n’étaient pas remarquables sur la base de ce score », poursuit-il. « Nous pensons que ce grand décalage entre cette prédiction basée sur l’ADN et le génie musical de Beethoven constitue un exemple précieux au niveau pédagogique. »
Morale de l’histoire : pour trouver la source du génie de certains individus, il va falloir aller chercher beaucoup plus loin. Peu importe le domaine, une simple comparaison génétique centrée sur un critère bien précis ne suffira jamais à expliquer pourquoi certains artistes ou penseurs étaient à ce point au dessus du lot. Ce qui est sûr, en revanche, c’est que rien ne vaut le fait de cultiver sa passion. Car sans son amour pour la musique, Beethoven n’aurait jamais eu un tel impact sur la culture occidentale, prédisposition génétique ou pas !
Le texte de l’étude est disponible ici.
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