Des physiciens britanniques ont récemment annoncé qu’ils avaient réussi à créer une « tornade quantique » en laboratoire, lors d’une expérience qui pourrait permettre de mieux comprendre la dynamique des trous noirs.
Ces derniers sont des objets exceptionnellement importants dans la dynamique de l’univers, mais ils demeurent relativement mystérieux. Même si les astrophysiciens ont fait de grands progrès sur les dernières décennies, nous sommes encore loin de comprendre toute la dynamique de ces monstres cosmiques capables d’engloutir tout ce qui passe à leur portée.
Pour avancer, des chercheurs du King’s College de Londres et des universités de Nottingham et de Newcastle ont choisi de miser sur l’expérimentation en laboratoire. C’est une approche relativement rare dans ce domaine où les résultats les plus prometteurs proviennent généralement d’observations astronomiques. Et pour cause : notre technologie actuelle ne nous permet absolument pas de cuisiner un véritable trou noir. Mais des systèmes qui présentent certaines caractéristiques communes pourraient tout de même nous aider à étudier tous ces mécanismes.
C’est en tout cas ce que pensent les chercheurs de l’Université de Nottingham, qui travaillent sur ce sujet depuis près de dix ans. En 2017, ils ont présenté une approche originale qui consiste à imiter la dynamique d’un trou noir dans un bassin d’eau. Une approche qui pourrait sembler ridiculement triviale à première vue, mais qui a permis de mieux comprendre un phénomène baptisé superradiance.
Avec leurs collègues de Newcastle et du King’s College, ils ont décidé d’améliorer leur dispositif expérimental en changeant de matériau. Dans leurs derniers travaux, ils ont remplacé l’eau par un matériau beaucoup plus exotique : un superfluide d’hélium.
C’est quoi, un superfluide ?
Lorsqu’on refroidit certains fluides à une température proche du zéro absolu, certaines particules arrivent dans un état où elles n’ont quasiment plus d’énergie à disposition ; elles sont presque entièrement figées dans un état ultra-condensé, séparées par une distance si minuscule que la physique newtonienne traditionnelle ne suffit plus à l’expliquer. Dans ces conditions, les atomes qui composent certains matériaux deviennent quasiment indiscernables. Ils forment un système unique, une entité cohérente dont chaque constituant est exactement dans le même état quantique : on parle de condensat de Bose-Einstein.
Et lorsqu’un grand nombre de particules répondent à ces critères, on obtient un nouvel état de la matière : un superfluide. Ces derniers ne suivent pas les règles de la physique traditionnelle. Ils affichent des propriétés quantiques très particulières qui n’existent pas dans les gaz, les liquides, les solides ou le plasma. Une de ces propriétés est particulièrement importante dans le cadre de ces travaux : la viscosité des superfluides est extrêmement proche de zéro, d’où leur nom. Cela signifie que contrairement à un liquide traditionnel comme l’eau, ils sont capables de s’écouler avec une résistance quasiment négligeable.
Une petite « tornade quantique » créée en laboratoire
Cette propriété ouvre la voie à un phénomène curieux : des vortex quantiques. Imaginez une tasse remplie d’un fluide que l’on remue avec une cuillère. Avec un liquide classique, comme l’eau, on obtient un tourbillon dont la taille et l’intensité dépendent de la force de l’agitation ; plus on touille, plus il devient puissant. Mais un superfluide se comporte différemment : à la place, on obtient de minuscules vortex aux propriétés singulières.
Leur particularité, c’est qu’ils ne peuvent exister que dans des conditions bien spécifiques. Plus précisément, il faut que les mouvements des particules qui le composent correspondent à des valeurs fixes et bien précises. Dès que l’on s’écarte de cette valeur, c’est-à-dire si le vortex commence à devenir un tout petit peu trop grand ou trop petit, l’équilibre s’écroule et le vortex disparaît.
Ou du moins, c’est le cas dans des conditions normales. Les auteurs de ces travaux ont conçu une enclave spéciale où ils ont réussi à piéger un grand nombre de vortex quantiques dans un espace restreint. Cela a eu pour effet de générer ce que les chercheurs décrivent comme une petite « tornade quantique » stable, une grande première en laboratoire.
« Nous avons réussi à confiner des dizaines de milliers de vortex quantiques dans un objet compact qui ressemble à une petite tornade », expliquent les chercheurs. « Cela nous a permis d’obtenir un flux continu à l’intensité record dans le domaine des fluides quantiques », précisent-ils.
Un modèle pour étudier la dynamique des trous noirs
En observant soigneusement la dynamique de cette tornade de superfluide, les auteurs ont observé que le système présentait des motifs très proches de ceux que l’on observe dans les ondes gravitationnelles à proximité des trous noirs. Un constat extrêmement enthousiasmant ; en pratique, cela signifie qu’ils ont créé une sorte de modèle de trou noir miniature.
Certes, les mécanismes physiques sous-jacents sont très différents. Mais grâce à ces similitudes dans la dynamique des deux objets, les chercheurs espèrent découvrir de nouveaux phénomènes importants dans le fonctionnement des vrais trous noirs, ce qui aurait des implications profondes pour la recherche en astrophysique.
« Quand nous avons observé les premières signatures claires de la physique des trous noirs dans notre expérience initiale en 2017, nous avons réalisé qu’il s’agissait d’une opportunité fantastique de comprendre des phénomènes étranges qui sont souvent difficiles, voire impossibles, à étudier autrement », explique Silke Weinfurtner, responsable du laboratoire. « Maintenant, avec cette expérience plus sophistiquée, nous avons porté ces travaux à un tout autre niveau ; cela pourrait éventuellement nous permettre de prédire ce qui se passe au niveau quantique lorsque l’espace-temps est courbé à proximité des trous noirs », se réjouit-elle.
Le texte de l’étude est disponible ici.
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