Soixante ans après sa sortie originale, l’adaptation des romans Mary Poppins de P.L Travers par les studios Walt Disney vient de recevoir une nouvelle classification. Vendredi dernier, le British Board of Film Classification – entendez l’organisme britannique en charge de la classification des films – a pris la décision de retirer la note “U” pour “universel” au grand classique porté par Julie Andrews et Dick Van Dyke. Mary Poppins est désormais considéré comme un long-métrage “PG” pour “enfants guidés par les parents“. Cette classification est attribuée aux œuvres audiovisuelles pour lesquelles la présence des parents est fortement conseillée en prévision de scènes pouvant heurter la sensibilité des plus jeunes. Loin d’être un film potentiellement dérangeant, cette production Disney est entrée dans le collimateur du BBFC pour cause de “langage discriminatoire”.
Après avoir caché le vocabulaire derrière cette décision dans sa déclaration initiale, le BBFC a fini par indiquer les scènes visées suite à des révélations du Daily Mail. Il est en réalité question d’un mot prononcé à deux reprises par l’Amiral Boom, voisin de la famille Banks. En version originale ainsi qu’en version française, le vieux personnage fait référence aux “Hottentots“. Si ce mot ne vous dit rien, c’est parce qu’il est très spécifique et à remettre dans l’époque du film. Il était utilisé par les colons européens pour désigner de manière péjorative les Khoïkhoïs, un peuple pastoral et nomade d’Afrique australe.
Celui-ci est prononcé une première fois à 1 heure et 8 minutes lorsque l’Amiral demande au jeune Michael s’il s’apprête à partir combattre des Hottentots. La seconde utilisation est certainement celle qui a motivé la décision du BBFC, lorsque l’Amiral désigne les ramoneurs au visage plein de suie de ce même terme, à 1 heure et 52 minutes. Certaines références racistes liées aux ramoneurs avaient déjà été relevées par le New York Times en 2019. Le journal américain comparait alors l’utilisation de la suie à du blackface, puisque celle-ci servait à un ressort comique dans le roman d’origine : “Ne me touche pas noir sauvage !” y crie une domestique en direction d’un des ramoneurs, avant d’ajouter “Si cet Hottentot entre par la cheminée, je sortirais par la porte d’entrée !“.
Une décision à but éducatif
Interrogé par Variety, le British Board of Film Classification a pris soin d’expliquer ce changement de note si tardif :
“Nos recherches sur le racisme et la discrimination, ainsi que nos récentes recherches sur les lignes directrices en matière de classification, nous ont permis de comprendre que l’une des principales préoccupations des gens, et des parents en particulier, est le risque d’exposer les enfants à un langage ou à un comportement discriminatoire qu’ils pourraient trouver inquiétant ou répéter sans se rendre compte de l’offense potentielle. Certains langages ou comportements ne sont donc en aucun cas autorisés dans les catégories U ou PG, ou dépendent entièrement du contexte.“
L’utilisation du terme “Hottentot” sans aucune remise en question de celui-ci par un autre personnage du film ne permet donc pas aux enfants de comprendre son impact discriminatoire sans l’intervention externe d’un adulte. Même si dans ce cas précis, les adultes d’aujourd’hui ne connaissaient probablement pas la signification du dit mot avant sa mise en avant par le BBFC. Ce changement a donc le mérite d’être éducatif, puisqu’il révèle des différences culturelles et temporelles dont nous n’aurions eu aucune connaissance autrement.
Il s’agit également de la façon la plus respectueuse d’aborder le problème pour l’œuvre originale. Plutôt que de redoubler la scène ou même de la couper, celle-ci restera incluse dans le long-métrage pour éviter de le dénaturer et permettra également d’entamer le dialogue concernant les mœurs du passé. La firme aux grandes oreilles est désormais habituée à cette pratique puisque certains de ses classiques disponibles sur Disney+ tels que Peter Pan ou La Belle et le Clochard présentent désormais un avertissement avant diffusion déclarant :
“Ce programme comprend des représentations datées et/ou un traitement négatif des personnes ou des cultures. Ces stéréotypes étaient déplacés à l’époque et le sont encore aujourd’hui. Plutôt que de supprimer ce contenu, nous tenons à reconnaître son influence néfaste afin de ne pas répéter les mêmes erreurs, d’engage le dialogue et de bâtir un avenir plus inclusif, tous ensemble.”
Reste alors à voir si Mary Poppins profitera du même avertissement. La référence discriminatoire en question étant bien moins évidente que les chats asiatiques de La Belle et le Clochard ou encore la représentation des tribus indiennes dans Peter Pan, rien n’est moins sûr.
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