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Des chercheurs allemands entraînent une IA à “penser” comme Einstein

En cherchant à clarifier le fonctionnement mystérieux des modèles IA complexes, des chercheurs allemands ont montré que le machine learning pourrait aussi révolutionner la science en établissant des théories qui ont complètement échappé aux humains.

La science avancerait-elle plus vite si nous étions encore capables de poser des questions aux plus grands cerveaux de l’histoire de notre civilisation, comme Gauss, Feynmann ou Bohr ? C’est une expérience de pensée intéressante, même si elle n’a pas la moindre implication pratique puisque ces génies sont décédés depuis belle lurette. Mais cela n’empêche pas d’essayer.

Récemment, des chercheurs du Forschungszentrum Jülich (FZJ), un institut de recherche allemand, se sont lancés dans un projet assez fascinant. En travaillant sur un des plus gros problèmes de l’intelligence artificielle, ils ont fini par développer un système capable de formuler des théories à partir d’un ensemble de données complexe, un peu comme Albert Einstein et ses illustres confrères.

L’origine de ces travaux réside dans le concept de « boîte noire de l’IA ». Cette technologie regorge déjà d’applications pratiques, mais on ne sait pas encore en exploiter tout le potentiel à cause d’un problème d’architecture. On fournit des données à un modèle, on obtient un résultat à la sortie, mais le fonctionnement interne de ces réseaux de neurones artificiels est beaucoup trop abstrait et nébuleux pour être compris par un humain.

Détricoter les modèles IA

Tout l’enjeu, c’est donc de trouver un moyen de permettre à notre petit cerveau biologique de donner du sens à la manière dont l’algorithme traite toutes ces données. Tous les spécialistes s’accordent à dire que cela permettrait de faire de grands progrès dans le domaine de l’IA. Et par extension, dans des tas d’autres branches de la science.

Pour tenter d’y parvenir, Claudia Merger, une chercheuse du FZJ, a développé un système de machine learning dont l’objectif est de simplifier les interactions entre les différents composants d’un système complexe. L’idée, c’est de décomposer un modèle IA en un nombre limité de composants qui communiquent entre eux de manière beaucoup plus explicite.

« Auparavant, la seule manière de construire ces modèles, c’était de le faire “depuis le bas” ; on expliquait le comportement d’un système à partir des interactions déjà connues qu’on y observait », explique Moritz Helias, co-auteur de l’étude. « Mais dans ces travaux, nous prenons le problème par l’autre bout en commençant “depuis le haut”. On part d’une boîte noire (le modèle IA, NDLR) qui explique l’ensemble, puis on le déconstruit en différents sous-systèmes qui interagissent entre eux de façon plus simple. »

À partir de là, les chercheurs peuvent reconstruire le modèle original pièce par pièce, à partir des composants du système simplifié. Cela permet de mieux comprendre comment il digère les données qu’on lui fournit. Une approche très intéressante qui pourrait aider les humains à s’approprier les approches souvent peu orthodoxes employées par les modèles IA, et faciliter l’interprétation des résultats recrachés par ces algorithmes opaques, mais très performants.

Une IA qui “pense” comme Einstein

Mais le plus intéressant, c’est qu’il existe un vrai parallèle entre cette manière de structurer des données et les raisonnements de grands scientifiques. C’est grâce à une méthode relativement similaire qu’ils ont pu formaliser des phénomènes naturels dans des théories élégantes et relativement simples (toutes proportions gardées).

Si les scientifiques plus éminents ont pu bouleverser l’histoire, c’est avant tout parce qu’il s’agissait de théoriciens de première classe. Ils étaient exceptionnellement doués pour percevoir des motifs et des relations dans le monde qui les entourait, et pour formaliser ces constats dans une théorie condensée.

L’exemple le plus connu est certainement celui des lois de la gravitation d’Isaac Newton. L’histoire raconte qu’il a eu un déclic quand une pomme lui est tombée sur la tête, et les conclusions qu’il a tirées de cet événement anecdotique sont désormais utilisées pour prédire le mouvement des planètes et des satellites, par exemple.

On peut aussi citer le fameux “Moment Eureka” d’Albert Einstein qui a ouvert la voie à la légendaire théorie de la relativité. En imaginant une personne en chute libre dans un ascenseur sans fenêtres, il a réalisé que dans ce système fermé, l’individu n’aurait aucun moyen de savoir s’il était affecté par la gravitation ou s’il était en train d’accélérer dans l’espace. Cette expérience de pensée l’a directement mené à ce qu’on appelle aujourd’hui le principe d’équivalence, une des clés de voûte de la relativité générale.

Ces exemples partagent un point commun : Newton et Einstein sont partis d’un ensemble d’interactions isolées pour arriver à un ensemble de règles bien définies qui régissent le fonctionnement d’un système. Conceptuellement, c’est donc plus ou moins la même approche que le système de simplification imaginé par Merger. En d’autres termes, ce dernier raisonne un peu comme les grands pionniers de la physique !

Une approche potentiellement révolutionnaire

« Au bout du compte, cette approche n’est pas si différente de celle d’un physicien. La seule différence, c’est la façon dont ces interactions sont assemblées : on se base uniquement sur les paramètres de l’IA. Cette façon de concevoir le monde, expliquer les interactions entre plusieurs éléments qui suivent certaines lois, c’est la base de la physique. On parle de donc de “physique de l’IA”», explique Helias.

Cela a une implication assez bluffante : si on lui fournit un énorme ensemble de données très complexes, le modèle de Merger pourrait identifier des motifs et des relations pour formuler des théories concrètes sur le fonctionnement de notre univers ! Et sur le papier, cette méthodologie pourrait s’appliquer à n’importe quelle branche de la science.

Ce concept n’en est encore qu’à ses balbutiements. Cela ne signifie en aucun cas qu’une IA est à deux doigts de réconcilier la relativité générale avec la physique quantique pour arriver à la fameuse « Théorie du Tout », par exemple.

 

Par contre, cela montre de manière très explicite à quel point la capacité du machine learning à trouver des relations qui échappent complètement aux humains pourrait bouleverser la recherche. Il sera très intéressant de suivre l’impact scientifique de cette approche qui pourrait véritablement révolutionner notre compréhension du monde sur le long terme.

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