Le CERN, un des organes scientifiques les plus importants de notre continent, dispose déjà du plus grand accélérateur de particules de la planète avec le fameux LHC (Large Hadron Collider). Cet outil de pointe a déjà permis aux chercheurs de révolutionner la physique avec des découvertes très importantes.
Mais alors que cet énorme engin en est à mi-chemin de sa troisième ronde d’expérimentations, les responsables de l’institution sont déjà tournés vers l’avenir. Ils viennent de présenter un plan très ambitieux qui pourrait mener à la construction d’un nouvel accélérateur aux proportions encore plus exceptionnelles, baptisé Future Circular Collider (FCC). Les chiffres avancés par le CERN sont tout bonnement stupéfiants à tous les niveaux, à commencer par la taille de l’installation.
Un accélérateur colossal
C’est un paramètre crucial, car plus les particules ont de place pour accélérer, plus elles peuvent se rapprocher de la vitesse de la lumière, et ainsi produire des résultats intéressants au moment de la collision. C’est en partie pour cela que le LHC est aujourd’hui l’accélérateur de particules le plus performant au monde ; il dispose d’un tunnel circulaire de 27 kilomètres de long.
Mais ce FCC le ferait passer pour un vulgaire nabot. Les responsables du projet ont proposé un tunnel circulaire de… 91 kilomètres de long à 200 mètres de profondeur. De quoi générer des collisions incroyablement énergétiques, bien au-delà de ce dont le LHC est capable – même si ce dernier restera un outil très précieux.
Forcément, un tel chantier se paiera au prix fort. Les premiers pronostics avancent un coût supérieur à 16 milliards d’euros — environ trois fois plus que le LHC, qui a englouti environ 4,5 milliards. Et comme souvent avec ce genre de projet pharaonique, il s’agit sans doute d’une fourchette basse.
On peut donc légitimement se demander quel serait l’intérêt d’un tel mastodonte. En a-t-on vraiment besoin, sachant que le LHC fonctionne toujours à merveille ? Tous les chercheurs ne sont pas nécessairement d’accord sur ce point. Mais pour les défenseurs du projet, c’est un « oui » retentissant.
Boson de Higgs et matière noire au menu
Car au-delà de sa taille, le FCC se distinguerait aussi du Grand Collisionneur de Hadrons sur un autre point : le type de particules avec lesquelles il travaille. Ce dernier est conçu pour générer des impacts de protons, des constituants électriquement chargés qui entrent dans la composition du noyau des atomes. Le nouvel accélérateur, en revanche, ferait s’entrechoquer des électrons, des particules chargées négativement qui entourent les noyaux des atomes, et leurs alter ego positifs, sobrement baptisés positrons.
Les chercheurs espèrent que cette approche permettra de passer à la vitesse supérieure dans l’étude de certaines particules exotiques très précieuses au niveau scientifique. Ils citent notamment les bosons de Higgs — les fameuses « particules de Dieu » découvertes par les équipes du LHC en 2012.
Cet objet encore relativement mystérieux est une des clés de voûte du modèle standard de la physique des particules, qui décrit le fonctionnement de la matière à la plus petite des échelles. Il est donc lié à certaines des questions les plus brûlantes de la physique fondamentale. En théorie, le FCC pourrait en produire des centaines de milliers à chaque cycle, ce qui pourrait déboucher sur de grands progrès.
Ces travaux pourraient aider les chercheurs à identifier des failles dans le modèle standard. Or, c’est probablement dans ces points de rupture que résident les pièces manquantes du grand puzzle de l’Univers. En trouvant ce qui cloche dans notre conception actuelle des lois de la physique, on pourrait par exemple découvrir de nouvelles clés de compréhension de l’Univers sombre, qui rassemble des concepts comme la matière noire et l’énergie noire. Des entités encore purement théoriques, mais suspectées d’avoir un impact déterminant sur la structure et la dynamique de notre monde.
Une grande étude de faisabilité
C’est une perspective extrêmement séduisante — mais le projet est si ambitieux qu’il serait extrêmement imprudent de foncer tête baissée. Avant de creuser les premiers trous, il faudra impérativement s’assurer de sa faisabilité. Le CERN a donc lancé une vaste étude en plusieurs phases qui se penche sur les volets scientifiques, techniques et économiques de la question.
La première phase s’est révélée plutôt encourageante selon Eliezer Rabinovici, le président israélien du Conseil du CERN. À l’occasion d’un briefing qui s’est tenu le 5 février, il a déclaré que cette première enquête n’avait révélé « aucun obstacle technique ou scientifique majeur ».
Une très bonne nouvelle, certes — mais il ne s’agit que d’un premier pas. Il faudra aussi se pencher sur la question du financement. Car si le CERN est capable d’assumer la plus grande partie de la facture, l’institution aura quand même besoin de l’aide de ses collaborateurs. Les États européens affiliés à l’institution devront chacun contribuer, ainsi que d’autres pays partenaires comme le Japon et les États-Unis. Ce point risque de faire l’objet d’âpres discussions. En l’état actuel des choses, il n’y a encore aucune garantie que le FCC soit construit un jour.
Premières réponses d’ici quelques années
Il conviendra donc de se pencher sur les conclusions de l’étude de faisabilité, donc la version complète ne sera pas publiée avant l’année prochaine. Mais le plus intéressant sera de suivre les discussions que ce document va générer. Tous les acteurs du projet vont le décortiquer méticuleusement pendant plusieurs années avant de prendre une décision. Le verdict final est attendu avant 2028.
Et même si tout le monde tombe d’accord, il faudra encore faire preuve de patience. La construction ne pourra pas démarrer avant 2033, car il faudra du temps pour régler les démarches administratives nécessaires et établir une chaîne logistique compatible avec cette entreprise pharaonique. Dans le meilleur des cas, les premières collisions n’arriveront donc pas avant 2045.
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Les protons ne sont pas neutres, ils sont chargés positivement, sinon comment les accélérer avec un champ magnétique ?
Ensuite je crois qu’il est question de noyaux atomiques de plomb, et non d’électrons, pour le futur modèle.
Bonjour,
Effectivement, je ne sais pas comment cette aberration m’a échappé; c’est désormais corrigé.
Pour ce FCC, il s’agit bien de collisions électrons-positrons et non de plomb selon ce document du CERN (https://cds.cern.ch/record/2861211/files/document.pdf)
Bien cordialement,