Au-delà de ses innombrables innovations culturelles et militaires, l’illustre Empire romain était aussi célèbre pour son rapport au vin. Ce breuvage était si important qu’il faisait même l’objet d’une véritable vénération. Auguste et ses descendants lui ont réservé une place au Panthéon avec Bacchus, le dieu du vin et de l’ivresse, souvent représenté avec un gobelet et des grappes de raisin.
Mais si leur rôle culturel et religieux est bien documenté par les historiens, de nombreux doutes persistent sur les propriétés gustatives de ces vins. Un duo de chercheurs a donc tâché d’en savoir plus sur leur goût en se basant sur du matériel utilisé par les vignerons de l’Antiquité.
Dans une étude publiée par la revue scientifique Antiquity, les archéologues Dimitri Van Limbergen et Paulina Komar se sont intéressés aux dolia. Ce sont de grosses jarres en argile où les Romains stockaient toutes sortes de denrées comme l’eau, l’huile ou les céréales. Elles étaient aussi utilisées pour la fermentation et la conservation du vin.
Des merveilles d’ingénierie sous-estimées
D’après les auteurs, ce matériel a souvent été négligé par les archéologues. En effet, les dolia ont la réputation d’être des objets grossiers, pas suffisamment importants pour justifier des études poussées. Van Limbergen et Komar ont donc estimé qu’il était grand temps de s’y intéresser de plus près. Et bien leur en a pris, car ils ont fait quelques trouvailles assez fascinantes en les comparant au matériel de vinification moderne.
Le premier point intéressant, c’est la forme des dolia. Contrairement aux cuves cylindriques d’aujourd’hui, elles avaient généralement une forme d’œuf. Et c’est un détail tout sauf anecdotique. En effet, le processus de fermentation créé une certaine quantité de dioxyde de carbone et change la température à l’intérieur du récipient. Dans une jarre de forme ovoïde, cela génère des courants de convection, un peu comme dans une casserole en train de bouillir.
Ces courants se comportent comme un système de pompage naturel qui remue gentiment les levures, les peaux et les autres solides tout en les mélangeant avec le moût (le jus de raison pressé). Selon les auteurs, ce mariage en continu enrichit la texture et accentue les saveurs du produit.
L’autre différence importante se trouve au niveau des matériaux utilisés. Contrairement aux cuves en inox utilisées par de nombreux vignerons modernes, les dolia étaient construites en argile ou en terre cuite. Ce sont des matériaux poreux qui ont tendance à laisser filtrer un peu d’oxygène, générant ainsi une oxydation excessive qui peut vite transformer le vin en vinaigre.
Pour empêcher cela, les Romains avaient donc appris à enduire les dolia de substances comme la cire d’abeille ou la poix, un mélange de résine et de goudron produit en distillant certains bois.
Du vin épicé aux arômes de noix et de pain
Les chercheurs considèrent que cette porosité et ces enduits jouaient un rôle important au niveau gustatif. « La cire et la poix ont d’excellentes propriétés imperméabilisantes, mais les récipients restaient relativement poreux, permettant ainsi une micro-oxygénation qui peut donner d’excellents vins puisque cela concentre la couleur et créé des saveurs d’herbes, de noix et de fruits séchés », expliquent les auteurs.
Mais cette relative perméabilité n’était pas seulement néfaste. Elle était méticuleusement contrôlée lors du processus de fabrication, car elle jouait aussi un rôle crucial dans le développement de nombreux micro-organismes bien spécifiques.
Les chercheurs mentionnent notamment une famille de levures produisant du sotolon. C’est un puissant composé aromatique qui, selon les auteurs, apportait des notes d’épices, de pain grillé, de pomme, de noix grillées et de curry aux vins romains.
Rouge ou blanc ?
Komar et Van Limbergen ont aussi tenté de résoudre une énigme qui fait l’objet de grands débats parmi les historiens : le vin romain était-il rouge ou blanc ? Selon les chercheurs, la réponse est… aucun des deux !
En effet, les signatures chimiques extraites des dolia suggèrent que contrairement aux viticulteurs d’aujourd’hui, les Romains ne s’embarrassaient pas de cette distinction qui est en fait plus moderne. Ils faisaient fermenter des mélanges de raisins indépendamment de leur couleur, en se basant uniquement sur leurs saveurs.
« Cela explique en grande partie la large palette de couleurs des vins anciens qui est décrite dans les sources antiques », expliquent les auteurs. Ces couleurs pouvaient aller du blanc limpide au noir profond, en passant par le rouge écarlate et le jaune orangé.
Les chercheurs insistent toutefois sur le fait que leurs travaux ne reflètent qu’une partie de la réalité. Ils se sont concentrés sur des vestiges retrouvés en Italie et en Géorgie, soit une petite partie de cet empire qui recouvrait plus de cinq millions de kilomètres carrés à son paroxysme.
Il faudra donc multiplier les études pour avoir une meilleure vision d’ensemble des prouesses viticoles des Romains. Mais cette étude a l’avantage de donner des pistes claires aux autres chercheurs qui pourront utiliser les dolia comme de véritables machines à remonter le temps.
Le texte de l’étude est disponible ici.
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