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Une IA trouve une incohérence dans un chef-d’œuvre historique de Raphaël

Cette étude qui porte sur la Vierge à la rose montre à quel point le machine learning pourrait devenir un outil formidable pour les historiens de l’art.

En plus de générer des images, des systèmes à base de machine learning sont désormais capables d’en extraire des motifs invisibles pour les humains qui peuvent révéler des tas d’informations cachées sur une œuvre. Ces fonctionnalités peuvent par exemple être utilisées pour détecter des deepfakes… ou pour résoudre des mystères qui entourent des chefs-d’œuvre historiques, comme la Madonna della rosa (La Vierge à la rose).

Cette célèbre peinture sur bois, peinte au début du XVIe siècle, fait l’objet d’un grand débat qui agite la communauté de l’art depuis plus de 200 ans. À l’origine, elle était attribuée sans contestation à Raffaello Sanzio, plus connu sous le nom de Raphaël. Mais à partir du XIXe siècle, des doutes ont commencé à émerger.

En effet, des spécialistes restent convaincus que certains traits — notamment le visage de Joseph — ne sont pas cohérents avec le reste de la scène. Ils estiment donc qu’ils proviennent de la main d’un autre artiste. Aujourd’hui, il n’y a toujours pas de vrai consensus.

L’IA à l’assaut des chefs-d’œuvre historiques

Mais cela pourrait enfin changer grâce à de nouveaux outils dopés à l’intelligence artificielle. Pour trouver une réponse définitive, des chercheurs britanniques et américains ont développé un nouvel algorithme d’analyse. Ils ont commencé par l’entraîner en lui soumettant d’autres peintures de Raphaël, celles dont l’origine est considérée comme certaine. Cela lui a permis d’apprendre à détecter les nuances caractéristiques qui définissent le style du maître.

« Nous avons utilisé d’autres images authentifiées de Raphaël pour entraîner l’ordinateur à reconnaître son style jusque dans les moindres détails, des coups de pinceau à la palette en passant par la représentation de la lumière », explique Hassan Ugail, chercheur à l’université anglaise de Bradford et co-auteur de l’étude.

Cette technique a déjà produit de beaux résultats. L’équipe a montré que ce système était capable d’authentifier un tableau de Raphaël avec une précision de 98 %. Cela a notamment permis d’attribuer une autre peinture, connue sous le nom de Brécy Tondo, au maître italien. Malheureusement, l’algorithme s’est heurté à un mur avec la Madonna. Les chercheurs n’ont pas réussi à obtenir des résultats suffisamment concluants pour lever les derniers doutes.

Ils ont donc changé de stratégie. Au lieu de faire travailler l’algorithme sur l’ensemble de l’œuvre, ils l’ont forcé à se focaliser sur des portions isolées, comme les visages. Et bien leur en a pris, car une tendance claire a enfin commencé à émerger. Le programme était entièrement convaincu que Raphaël avait effectivement peint tous les personnages lui-même… à une exception près : Joseph, pour lequel la probabilité chute en dessous de 40 %. En d’autres termes, il est très probable qu’il s’agisse d’une retouche ajoutée par un autre artiste.

Mais alors, qui a peint Joseph ?

Reste encore une question brûlante : si ce n’était pas Raphaël qui a peint ce personnage, qui s’en est chargé ? Malheureusement, cela sort du champ de compétences de cet algorithme, et la question reste ouverte.

La plupart des experts ont déjà un nom en tête : son apprenti Giulio Romano, à qui certains auteurs attribuent déjà partiellement la peinture. D’autres citent également Gianfrancesco Penni, un autre peintre italien moins connu. Mais quoi qu’il en soit, il faudra conduire d’autres études pour le prouver. Et cela risque d’être difficile. Malheureusement, ces candidats ont produit moins de peintures célèbres qui pourraient être utilisées pour entraîner un algorithme.

Un formidable outil pour les spécialistes de l’art

Dans le communiqué de l’Université de Nottingham, les auteurs rappellent que de tels résultats ne constituent pas une preuve définitive. « L’attribution et l’authentification font partie des défis les plus importants pour les spécialistes de l’art », explique David G. Stork, co-auteur de l’étude. « Ils doivent étudier la provenance, les matériaux, la condition de la peinture, l’iconographie, et enfin l’œuvre en elle-même : coups de pinceau, couleur, composition… Or, les études en informatique appliquée à l’art — y compris la nôtre — se focalisent surtout sur ces derniers critères. Les résultats de nos travaux ne doivent donc pas être considérés comme suffisants ».

En revanche, ils insistent sur le fait que leurs travaux montrent à quel point le machine learning peut être un outil formidable en histoire de l’art. « C’est un pas en avant pour les protocoles d’authentification, » précise Stork.

« Au fur et à mesure que les bases de données vont grandir et que les algorithmes vont s’améliorer, les chercheurs pourront affiner leur méthodologie. Ces méthodes informatiques vont s’améliorer et pourront être largement utilisées en histoire et en critique de l’art », conclut-il. On peut donc s’attendre à ce que de nouvelles énigmes qui torturent les spécialistes depuis des décennies soient bientôt résolues grâce au machine learning.

Le texte de l’étude est disponible ici.

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3 commentaires
  1. Article intéressant, et à nuancer cependant.
    Il est bien connu, par des exemples référencés et avérés, que les artistes, jusqu’au moins la seconde moitié du XIXeme siècle, ne travaillaient pas seuls (pratique d’ailleurs de nouveau fort courante au XXe siècle et de nos jours). La question surgit de notre tendance à ne considérer comme totalement “authentiques” que les travaux exécutés de la seule main d’un maître, point de vue hérité d’une conception historiquement datée, donc. La collaboration avec l’ensemble de l’atelier était la norme, et l’occasion pour les élèves de progresser dans leur apprentissage avant d’acquérir eux-mêmes leur autonomie. (Considérer par ailleurs Giulio Romano comme un apprenti n’ayant pas produit une œuvre suffisamment importante pour être analysée représente un point de vue purement technique.)
    L’intelligence artificielle n’apprend (comme le suggère l’article) ici rien qu’on ne sache déjà.
    Ne peut-on pas simplement considérer que l’un des charmes de cette œuvre provient précisément du contraste du traitement des visages de Joseph et Marie, contraste probablement validé par Raphaël lui-même ? Il ne s’agit pas ici de déconsiderer l’apport de L’IA, qui vient apporter des arguments factuels aux hypothèses des historiens de l’art, mais de replacer les éléments de l’article dans le contexte des pratiques historiques.

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