L’Agence spatiale européenne se prépare en ce moment à lancer une mission fascinante à bien des égards. Baptisée Proba-3, elle va tâcher de générer une minuscule éclipse artificielle pour étudier la couronne du Soleil, siège d’un tas de phénomènes mystérieux qui intéressent fortement les astrophysiciens.
Cela ne signifie pas que la Terre sera temporairement plongée dans l’obscurité comme lorsque la Lune passe entre notre planète et son étoile. En fait, cette éclipse ne sera visible que depuis l’espace. Mais elle va permettre aux astrophysiciens de passer un cap important dans l’étude du Soleil.
La couronne du Soleil, une zone difficile à étudier
En temps normal, les détails de la couronne sont quasiment imperceptibles à cause de la forte brillance du Soleil. Certes, il existe aujourd’hui des observatoires sophistiqués qui permettent de l’observer avec une bonne précision. On peut notamment citer le Solar Dynamics Observatory de la NASA. Mais même ces instruments très perfectionnés ne peuvent pas capturer toutes les nuances de la couronne.
En règle générale, ils embarquent un occulteur interne — un disque placé devant le capteur pour masquer la zone centrale du Soleil, comme la Lune pendant une éclipse. Le problème, c’est que ces occulteurs internes ont tendance à générer une diffraction importante qui vient polluer le signal. Les chercheurs ne peuvent donc pas distinguer les détails les plus intéressants.
Pour limiter cette diffraction, la seule option est d’augmenter la distance entre l’observateur et l’objet qui occulte le soleil. C’est notamment pour cette raison que les spécialistes du Soleil attendent toujours les éclipses totales avec impatience. À cause de la distance entre l’étoile, la Lune et la Terre et de leurs tailles, la diffraction est nettement plus faible lors de ces événements. Ce sont donc des opportunités formidables d’étudier précisément la dynamique de la couronne. Malheureusement, ces éclipses totales sont relativement rares ; elles surviennent en moyenne tous les 18 mois.
Un duo de choc pour produire une mini-éclipse
Les agences spatiales cherchent donc d’autres approches qui permettraient d’étudier la couronne sur le long terme avec une diffraction relativement faible. C’est précisément ce que l’ESA compte faire avec Proba-3. L’agence s’est lancé un défi complexe, mais très élégant. Au lieu d’intégrer un disque occultant directement dans l’observatoire, elle a pris le parti de les répartir sur deux engins distincts pour la première fois.
Le premier, appelé occulteur, jouera le rôle de la Lune. Il va se positionner face au Soleil de façon à masquer toute la zone centrale avec une sorte de parasol métallique. Cela permettra de ne laisser apparaître que la couronne, comme lors d’une véritable éclipse. Pendant ce temps, une deuxième sonde armée d’un télescope va se positionner 144 mètres derrière. Elle pourra ainsi profiter du spectacle avec un minimum de diffraction, et surtout sur une durée prolongée.
« Nous ne verrons pas autant de détails que lors d’une éclipse terrestre », explique l’astrophysicien Russel Howard. « Mais avoir de telles images pendant des heures en continu, par opposition aux 5 à 10 minutes que dure une éclipse naturelle, ça va être spectaculaire », se réjouit-il.
Conceptuellement, c’est un plan relativement simple. Mais d’un point de vue technique, c’est une mission extrêmement complexe. En effet, pour que ce tour de passe-passe fonctionne, le duo devra se positionner avec une précision remarquable. La moindre déviation affecterait considérablement la qualité des données. Les ingénieurs ont donc équipé les deux engins d’un grand nombre d’instruments qui leur permettront de calculer très précisément leur position pour ajuster leurs trajectoires respectives en temps réel.
Un intérêt au-delà de l’héliophysique
Grâce à cette éclipse artificielle, les chercheurs pourront collecter des données très précieuses sur la couronne. Cela permettra notamment de mieux comprendre la météo solaire. En effet, c’est dans cette région qu’ont lieu des phénomènes comme les éjections de masse coronale — de grandes éruptions de particules chargées qui peuvent provoquer des tempêtes géomagnétiques sur Terre. La couronne influence aussi la vitesse des vents solaires, un autre phénomène que les astrophysiciens surveillent de près. Plus largement, ils pourront récolter des tas d’informations sur la façon dont fonctionne notre astre préféré.
Proba-3 ne pourra malheureusement pas observer la couronne 24 heures sur 24. L’ESA devra se contenter de séquences d’environ six heures, car maintenir cette formation serrée en permanence consommerait beaucoup trop de carburant. Mais les ingénieurs ont de la ressource. Ils ont trouvé un moyen de tirer parti de cette lacune.
Entre deux observations du Soleil, les deux membres du couple permettront aussi de tester diverses technologies de communication et de navigation. Cela permettra notamment d’affiner les techniques de rendez-vous qui permettent à deux engins de se rejoindre en un point précis d’une orbite. Proba-3 ne bénéficiera pas seulement à l’héliophysique, mais à toutes les prochaines missions qui nécessiteront des manœuvres synchronisées complexes.
Les deux sondes sont actuellement dans la dernière phase de préparation dans un laboratoire de l’ESA près d’Antwerp, en Belgique. Il ne reste plus qu’à patienter jusqu’à la date du lancement, en septembre 2024, pour assister au début de cette mission qui s’annonce déjà fascinante.
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