C’est une tendance qui inquiète énormément les chercheurs : année après année, le nombre d’insectes ne cesse de diminuer. Cela concerne notamment les pollinisateurs, ces espèces qui jouent un rôle absolument crucial dans le cycle de vie de très nombreuses espèces végétales. La situation est même si grave qu’une tendance aussi étonnante qu’inquiétante est en train d’émerger. En effet, une nouvelle étude suggère que certaines espèces de plantes pourraient être en train de faire le deuil des insectes, et de changer de trajectoire évolutive pour se reproduire elles-mêmes.
C’est en tout cas ce qui ressort d’une étude menée par des chercheurs du CNRS et de l’Université de Montpellier repérée par ScienceAlert. Le papier, publié dans New Phytologist, porte sur les pensées des champs (Viola arvensis) en région parisienne, une zone où le déclin des insectes est particulièrement extrême.
Un grand changement de stratégie
En règle générale, cette fleur se reproduit grâce à la contribution des bourdons et autres pollinisateurs. Mais le déclin rapide de ces derniers exerce une forte pression sur cette espèce. Puisqu’elles sont visitées de moins en moins souvent, elles éprouvent de plus en plus de difficultés à assurer leur descendance, et cette tendance est en train de faire émerger une autre stratégie : l’autopollinisation.
Les plantes qui ont développé cette stratégie au cours de l’évolution ne s’appuient pas sur les insectes pour effectuer le transfert de pollen indispensable à leur reproduction. À la place, ce matériel est soit transféré directement sur le stigmate de la même fleur, soit sur celui d’une autre fleur de la même plante.
Cela n’a rien d’anormal dans l’absolu. Il existe déjà de nombreux végétaux qui pratiquent cette autopollinisation ; c’est par exemple le cas de plusieurs espèces de riz. En revanche, c’est un phénomène qui a été très rarement observé chez Viola arvensis jusqu’à présent. Pourtant, les analyses génétiques pratiquées par les chercheurs chercheurs ont révélé une hausse de 27 % des cas d’autopollinisation dans les populations parisiennes de cette petite fleur blanche. Cette tendance est aussi associée à des modifications physiques qui montrent que les pensées des champs sont en train de s’équiper pour cette nouvelle stratégie.
« Nous avons documenté une évolution des traits en faveur de corolles plus petites, d’une baisse de la production de nectar et d’un attrait réduit des bourdons », expliquent les chercheurs. « Ces changements sont convergents sur les quatre populations étudiées. » En d’autres termes, les fleurs présentent des pétales plus petits, produisent moins de nectar, et cherchent de moins en moins à séduire les insectes.
Une mauvaise nouvelle sur le long terme
« Cette étude démontre que le système reproductif des plantes peut évoluer rapidement dans des populations naturelles sous l’influence des changements environnementaux », écrivent les chercheurs dans leur papier.
À première vue, ce constat pourrait ressembler à une bonne nouvelle. Après tout, si les plantes peuvent soudainement dévier de plusieurs dizaines de millions d’années d’évolution en l’espace de quelques décennies pour prendre leur propre reproduction en main, c’est forcément de bon augure pour leur survie, n’est-ce pas ? C’est en fait beaucoup plus compliqué que cela.
En effet, ce n’est pas un hasard si la pollinisation croisée qui s’opère grâce au vent ou à d’autres êtres vivants a été sélectionnée chez tant d’espèces au fil de l’évolution. C’est une stratégie exceptionnellement efficace, car elle fait bien plus qu’assurer la descendance directe des plantes. En s’échangeant leurs cellules reproductrices d’un individu à l’autre, les plantes pratiquent un grand brassage à l’échelle de la population, ce qui a pour effet de maintenir ou d’augmenter sa diversité génétique.
Certes, l’autopollinisation offre un certain degré d’autosuffisance — mais seulement sur le court terme. Sur de longues périodes, cette stratégie expose aussi les plantes à une baisse de diversité génétique qui peut avoir des conséquences très importantes. En effet, plus ce brassage est faible, moins les espèces ont d’opportunités de transmettre des traits désirables qui pourraient offrir un avantage en termes de sélection naturelle.
On se retrouve donc avec des populations génétiquement homogènes qui sont beaucoup plus exposées aux maladies ou aux changements environnementaux. Une très mauvaise nouvelle dans le contexte actuel. Concrètement, cela signifie que les plantes qui pratiquent l’autopollinisation sont donc bien plus susceptibles de disparaître sur le long terme.
Des implications profondes pour la biodiversité
Le problème, c’est que chaque espèce végétale joue un rôle dans son écosystème. Modifier certains paramètres de ces relations intimes entre de nombreux êtres vivants peut donc avoir des conséquences bien plus larges sur les autres acteurs, à commencer par les pollinisateurs eux-mêmes.
Cette étude ne porte que sur la pensée des champs, et le changement de stratégie d’une seule espèce n’aura probablement pas de retombées catastrophiques. Tout l’enjeu sera donc de déterminer si ces conclusions s’appliquent aussi à beaucoup d’autres espèces végétales, auquel cas les conséquences pourraient être beaucoup plus importantes.
« L’évolution rapide vers le modèle de l’autopollinisation pourrait accélérer le déclin des pollinisateurs, dans une boucle de rétroaction co-évolutive avec de larges implications pour les écosystèmes naturels », préviennent les chercheurs.
D’autres espèces feront probablement l’objet d’études du même genre ces prochaines années. Il conviendra donc de garder un œil sur cette thématique qui est certes fascinante d’un point de vue évolutif, mais assez préoccupante au niveau écologique. S’il s’agissait d’un phénomène global, cela pourrait conduire à des modifications substantielles de la biosphère telle qu’on la connaît aujourd’hui.
Le texte de l’étude est disponible ici.
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Auto-pollinisation ne veut pas dire individus identiques à la sortie non plus, ce ne sont pas des boutures. Les populations végétales sont quand même assez homogènes, même avec pollinisation croisée, faut pas non plus exagérer. Et beaucoup, beaucoup d’espèces jouent la carte autofertile depuis bien avant l’anthropocène, et pourtant, elles sont toujours là. D’autres, encore pire, suivant ce que vous dites, se reproduisent même bien plus par clonage (boutures naturelles et rhizome, etc.) que par semis. On est donc loin de quelque chose de sensationnellement grave. Surtout qu’une plante autofertile peut toujours etre pollinisée par les insectes, les deux s’additionnent.
Merci Clikubaito pour vos précisions!