L’ère victorienne, cette célèbre époque de l’histoire britannique caractérisée par le règne de l’illustre Reine Victoria, occupe une place particulière dans le cœur de nombreux passionnés d’histoire à cause de son importance culturelle, mais aussi des nombreuses intrigues qui s’y sont déroulées. La collectionneuse et conservatrice Sara Rivers-Cofield l’a encore montré il y a une dizaine d’années en découvrant un étrange code secret sur lequel les spécialistes du chiffrement se sont tous cassé les dents. Ou du moins, c’était le cas jusqu’à présent, puisque ce fameux code vient enfin d’être déchiffré.
L’histoire a commencé lorsque Rivers-Cofield est tombée sur une robe en soie datant de l’ère victorienne dans l’état de la Maine, aux États-Unis. Après en avoir fait l’acquisition, elle a consciencieusement inspecté l’objet sous toutes les coutures. En la retournant, elle a eu la surprise de tomber sur une poche cachée qui contenait une curieuse boule de papier froissé.
En la dépliant, l’intéressée a découvert un manuscrit recouvert d’une vingtaine de lignes de charabia complètement incompréhensible. Le texte était certes composé de mots anglais, mais leur succession n’avait absolument aucun sens. River-Cofield en a donc déduit qu’il s’agissait d’un message codé.
En 2014, elle a publié ce texte sur son blog afin que d’autres personnes puissent essayer d’en trouver la clé — mais tous les spécialistes sont revenus bredouilles. Le « cryptogramme de la robe de soie », comme il a été baptisé par différents observateurs, s’est imposé comme un mystère cryptographique particulièrement tenace.
Un simple relevé météorologique
Près de dix ans plus tard, cette enquête vient enfin de prendre fin. Wayne Chan, un chercheur canadien de l’Université de Manitob, a enfin trouvé la clé du mystère. Il a publié ses trouvailles dans la revue Cryptologia.
Le contenu de ce texte s’est avéré beaucoup moins excitant que prévu. Il ne s’agissait pas d’un message d’un espion des États-Unis, qui avaient été fondés environ un siècle auparavant, ni d’un code destiné à masquer une activité illicite comme des paris illégaux. À la place, il s’agissait de simples observations météorologiques. On peut légitimement se demander pourquoi quelqu’un prendrait la peine d’encoder ainsi des informations aussi banales.
Il se trouve que la réponse est avant tout économique. Selon Chan, ce code était utilisé au 19e siècle par une branche de l’armée américaine chargée de réaliser une carte de la météo sur le territoire de l’ancienne colonie britannique. Or, à l’époque, la méthode de communication la plus rapide — le télégramme — était encore une technologie novatrice. Il a été inventé en 1837, tout au début de l’époque victorienne. Cette nouveauté se payait donc au prix fort, et le moindre mot supplémentaire pouvait faire exploser une facture déjà conséquente. Ce code était donc une manière de limiter les dépenses opérationnelles de l’armée en réduisant le nombre de mots inclus dans chaque message.
Le chercheur a réussi à traduire tout le texte du message à partir d’un obscur manuel de l’armée américaine datant de 1877. Il a ensuite parcouru des tas d’archives météorologiques américaines et canadiennes pour trouver une description qui correspondait à la météo décrite dans le message. Et ses efforts ont fini par payer ; selon lui, ce bulletin a été rédigé le 27 mai 1888.
Pas d’intrigue palpitante, mais un document historique précieux
Certes, ce verdict sera probablement décevant pour ceux qui s’attendaient à une palpitante histoire d’espionnage. Mais aussi mondain soit-il, ce bout de papier revêt tout de même une importance considérable pour les historiens. Selon Chan, ces messages étaient rarement archivés à cause de leur intérêt pratique. Ce sont donc des documents très rares à notre époque.
Mais il reste une question qui pourra donner un peu de grain à moudre aux amateurs d’intrigue multicentenaire : pourquoi ce message s’est-il retrouvé dans une poche soigneusement dissimulée de cette fameuse robe de soie ?
Chan n’a pas réussi à trouver une réponse définitive à cette question. Il a toutefois mis le doigt sur un début de piste prometteur. Tous ces relevés météorologiques finissaient probablement dans les locaux du Département de la Guerre à Washington, à quelques centaines de kilomètres de la Maine où la robe a été retrouvée en 2014. De nombreuses femmes y travaillaient en tant que greffières ou copistes. C’est sûrement l’une de ces employées, une certaine madame Bennet si l’on se fie à une broderie de la robe, qui a manipulé ce message… mais rien ne permet de déterminer pourquoi il a fini dans cette poche discrète. À ce niveau, le mystère reste entier.
Le texte de l’étude est disponible ici.
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