Une équipe du National Institute of Information and Communications Technology, le plus grand institut de recherche en télécom japonais, a récemment annoncé avoir pulvérisé le record de vitesse de transmission de données. A travers un seul câble de fibre optique, les chercheurs ont réussi à atteindre un débit monstrueux de 22,9 petabits (Pb) par seconde.
Il s’agit d’un chiffre phénoménal à bien des égards. Pour référence, c’est plus de deux millions de fois plus rapide que les meilleures offres fibres proposées au grand public par les opérateurs. Celles-ci plafonnent actuellement à 10 Gb/s.
C’est aussi plus du double du précédent record de 10,66 Pb/s, établi en 2020 par la même équipe. Mais il y a un autre chiffre qui illustre encore mieux ce débit ahurissant. D’après TeleGeography, une entreprise spécialisée dans l’analyse du trafic Internet, il y a environ 1217 Tb de données qui transitent chaque seconde sur la toile (chiffres de septembre 2023). Cela signifie que le système des chercheurs a atteint un pic de vitesse équivalent à… près de vingt fois la bande passante mondiale !
Un double multiplexage
Pour atteindre de tels débits, une fibre optique basique est largement insuffisante. Il faut avoir recours au multiplexage, une approche qui consiste à combiner plusieurs signaux dans un même canal de transmission.
Il en existe plusieurs variantes qui sont déjà utilisées dans de très nombreux systèmes de communication. La particularité de ces travaux, c’est que les chercheurs ont combiné deux variantes différentes au sein d’un même système, comme ils l’avaient déjà fait lors de leur précédent record.
La première est appelée multiplexage spatial (ou SDM, pour space division multiplexing). Elle consiste à subdiviser la fibre en plusieurs canaux de communication séparés physiquement. Concrètement, cela implique de produire une fibre avec de nombreux cœurs — les canaux de verre ou de plastique à travers lesquels la lumière peut circuler. En l’occurrence, la fibre qui a servi à établir ce record comportait 38 cœurs.
Pour densifier encore le flux de données, ils ont combiné le SDM à une autre approche appelée multiplexage en longueur d’onde (ou WDM, pour Wavelength Division Multiplexing). Elle permet de transmettre plusieurs signaux au sein d’un même cœur. Chacun de ces signaux dispose de sa propre fréquence bien précise, ce qui permet de le reconnaître à la sortie de la fibre. Ils ont ainsi pu combiner trois signaux dans chacun des 38 cœurs, pour un total de 114 canaux.
Et le plus impressionnant, c’est que les chercheurs estiment avoir encore de la marge. Selon eux, le même système pourrait atteindre un débit de 24,7 Pb/s. Soit environ 1000 fois plus que les réseaux de fibre optique opérationnels les plus performants. Il serait possible d’y parvenir sans modification majeure, en optimisant le système de correction d’erreurs qui traite le signal à la sortie.
Incompatible avec l’infrastructure actuelle
Mais il va encore falloir patienter avant d’en profiter. La première limite de ce système, c’est qu’il n’est pas adapté à l’infrastructure actuelle. Ce débit phénoménal n’est possible que grâce à l’action d’un système de traitement du signal très sophistiqué. Pour exploiter cette technologie, il faudrait donc mettre à jour tous les systèmes de communication actuels. Dans le cas contraire, on se retrouverait avec de gros goulots d’étranglement, ce qui réduirait massivement l’intérêt du système.
Mais il ne s’agissait que d’une preuve de concept qui devait démontrer la solidité de cette approche. Pour les auteurs de ces travaux, malgré ces limites, il s’agit donc tout de même d’un « grand pas vers la réalisation de réseaux de communication optiques à ultra-haute capacité », susceptibles de révolutionner les télécoms telles qu’on les connaît aujourd’hui.
D’ici là, ces travaux pourraient tout de même déboucher sur de gros progrès à court terme. Car l’année dernière, cette même équipe a aussi réussi à atteindre un débit d’1 Pb/s dans un câble à quatre cœurs sans multiplexage WDM, compatible avec l’infrastructure existante (voir ce communiqué). Des réseaux de fibre optique ultrarapides pourraient donc émerger d’ici quelques années à peine.
Espérons simplement que les pouvoirs publics n’oublieront pas les territoires les plus démunis pour autant. D’après DegroupTest, environ 20 % des foyers français ne sont toujours pas éligibles à la fibre, alors que l’objectif annoncé était de raccorder 100 % du territoire d’ici 2025. Pas forcément de bon augure, dans un contexte où la fin de l’ADSL approche à grands pas.
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