Des chercheurs britanniques de l’Université de Leeds ont récemment publié une étude qui pourrait révolutionner la façon dont les astronomes appréhendent l’évolution des astres. Ils estiment avoir trouvé des preuves qu’une certaine catégorie d’étoile existe très souvent sous forme de systèmes ternaires, c’est-à-dire des trios d’étoiles qui gravitent autour d’un centre de gravité commun.
Les étoiles sur lesquelles portent ces travaux appartiennent à la classe B, c’est-à-dire qu’elles sont remarquablement massives et chaudes — typiquement entre 10 000 et 30 000 °C à la surface, contre environ 5800 °C pour notre Soleil.
Plus spécifiquement, les auteurs se sont intéressés aux étoiles Be, pour B-émissions. En plus des caractéristiques ci-dessus, elles présentent quelques particularités supplémentaires. Elles affichent notamment des raies bien spécifiques dans leurs spectres d’émission, d’où leur nom.
En outre, elles tournent sur elles-mêmes à une vitesse très importante – plusieurs centaines de kilomètres par seconde à l’équateur ! Les chercheurs estiment généralement que cette rotation rapide est provoquée par des interactions avec une autre étoile au sein de ce qu’on appelle des systèmes binaires. Il s’agit de couples d’étoiles qui gravitent l’une de l’autre, ou plus précisément autour d’un centre de gravité commun.
Ces systèmes binaires d’étoiles Be sont les cibles privilégiées de cette équipe de chercheurs, car ils présentent un intérêt particulier en cosmologie. Ils sont en effet considérés comme des bancs d’essai particulièrement pertinents pour formuler et tester des théories sur le cycle de vie des étoiles.
Des couples d’étoiles aux propriétés étranges
Pour alimenter leurs recherches, les auteurs ont passé en revue des données rapportées par le satellite Gaia de l’Agence spatiale européenne. Mais en cherchant de nouveaux systèmes binaires, ils ont mis le doigt sur une incohérence étonnante.
« Si une étoile se déplace selon une ligne droite de notre point de vue, nous savons qu’il s’agit d’une étoile isolée », raconte Dodd. « Mais s’il y en a plus d’une, on observe des oscillations, voire même une spirale bien définie dans certains cas. Nous avons appliqué ce raisonnement à deux groupes d’étoiles B et Be. Et étonnamment, nous avons remarqué que les étoiles B semblaient faire partie de systèmes binaires plus souvent que les étoiles Be. C’est intéressant, parce qu’on s’attend à ce que beaucoup plus d’étoiles Be aient une compagne », explique-t-il.
Les auteurs ont identifié deux explications possibles à cette observation. Soit les compagnes de ces étoiles Be sont simplement trop peu brillantes pour être détectées, soit les membres de ces systèmes binaires sont beaucoup plus éloignés que prévu.
Pour faire la part des choses, les chercheurs ont comparé ces données avec celles d’autres systèmes binaires connus pour être extrêmement larges. Dans ces cas de figure, les deux étoiles sont parfois séparées de plusieurs milliers d’unités astronomiques (soit plusieurs dizaines de milliards de kilomètres). Or, dans ces systèmes très étendus, ils ont remarqué que les proportions d’étoiles B et Be comprises dans des systèmes binaires étaient extrêmement similaires.
Un ménage à trois lourd de conséquences
Cela pourrait sembler anecdotique, mais ce détail a mis la puce à l’oreille des chercheurs. Selon eux, cela implique l’existence d’un mécanisme supplémentaire qui peut masquer le deuxième membre d’un système binaire compact. Encore fallait-il déterminer la nature de ce mécanisme.
Or selon les chercheurs, il y a une explication à la fois convaincante et très excitante : l’intervention d’une troisième étoile ! Ces systèmes que les chercheurs pensaient binaires seraient en fait ternaires, avec trois étoiles impliquées dans l’équation au lieu de deux.
Dans ce scénario, l’influence gravitationnelle du nouveau venu bouleverse ce tango normalement très régulier, altérant ainsi les relations entre les deux autres. Au-delà d’un certain seuil, les forces gravitationnelles deviennent si intenses que le couple original commence à s’entredévorer. La plus massive cannibalise alors progressivement la plus chétive, formant ainsi un vaste disque suffisamment opaque pour cacher l’intervention du troisième larron. Et tout ça à cause de cet élément perturbateur venu troubler l’harmonie du duo initial. Un scénario digne d’un feuilleton romantique kitsch, mais avec des étoiles en guise de protagoniste.
Une nouvelle ressource pour étudier la vie et la mort des étoiles
Cette interprétation devra encore être confirmée par d’autres observations. Mais d’après les chercheurs, elle pourrait avoir un impact majeur sur d’autres branches de l’astronomie. Ces systèmes à plusieurs étoiles pourraient offrir de nouvelles informations sur le cycle des étoiles — une composante extrêmement importante de la dynamique globale de l’Univers.
« Sur la dernière décennie, les astronomes ont réalisé que la binarité est un élément incroyablement important de l’évolution stellaire », explique René Oudmaijer, professeur d’astrophysique à Leeds et auteur principal de l’étude. « Maintenant, on se dirige vers l’idée que la situation est encore plus complexe, et qu’il faut tenir compte des étoiles triples. En un sens, ces systèmes ternaires deviennent les nouveaux systèmes binaires ».
Par extension, cette danse cannibale pourrait aussi receler des indices précieux sur l’histoire des trous noirs, des étoiles à neutrons, et des autres corps qui émettent des ondes gravitationnelles à l’intensité prodigieuse. Les astronomes commencent à avoir une idée assez claire des mécanismes physiques qui peuvent conduire à l’apparition de tels objets. En revanche, la nature exacte des étoiles susceptibles de leur donner naissance est encore relativement floue. Les auteurs considèrent que leurs découvertes pourraient aider à remonter jusqu’à ces précurseurs — de quoi contribuer aux travaux de pointe sur les ondes gravitationnelles.
« En ce moment, il y a une vraie révolution de la physique qui est en train de se jouer avec les nouveaux travaux sur les ondes gravitationnelles. Cela ne fait que quelques années que nous pouvons les observer. Nos trouvailles pourraient apporter de nouveaux indices pour mieux comprendre d’où elles proviennent. »
Le texte de l’étude est disponible ici.
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