C’était la bombe médiatique de ce week-end : OpenAI, l’entreprise la plus en vogue du monde de l’intelligence artificielle, s’est séparée avec fracas de son PDG historique Sam Altman. Deux jours plus tard, la poussière commence tout doucement à retomber ; et si le fond de l’affaire est encore loin d’être parfaitement clair, ce renvoi étonnamment brusque est déjà en train d’avoir des conséquences extrêmement concrètes qui pourraient complètement faire basculer les rapports de force de toute une industrie.
Le premier mouvement remarquable est venu de Microsoft. La firme de Redmond entretient des rapports privilégiés avec OpenAI ; en plus d’être actionnaire majoritaire, elle dispose aussi des droits exclusifs sur ses produits, dont l’incontournable modèle de langage ChatGPT. Et forcément, dès que le départ d’Altman a été rendu officiel, le géant de la tech n’a pas hésité une seule seconde à s’engouffrer dans la brèche. Quelques jours à peine après ce formidable imbroglio, nous avons appris que Microsoft a recruté l’ancien PDG pour doper son propre département IA.
Du point de vue de Microsoft, c’est un véritable coup de maître. En signant Altman, mais aussi Greg Brockman, le co-fondateur d’OpenAI qui a posé sa démission suite à l’éviction de son collègue, Satya Nadella s’est offert le cerveau et le cœur de l’entreprise.
La lettre ouverte de la discorde
Il ne manque donc qu’une chose à Microsoft pour reconstituer son propre homonculus personnalisé d’OpenAI : les muscles. Et plus le temps passe, plus il semble que ce matériel va bientôt être servi sur un plateau d’argent. En effet, près des trois quarts des employés d’OpenAI seraient prêts à quitter le navire.
C’est en tout cas ce que suggère clairement une lettre ouverte rédigée par 505 des 700 employés d’OpenAI. Ils exigent du conseil d’administration qu’il revienne sans délai sur sa décision de renvoyer Altman, et que ses membres démissionnent purement et simplement. Dans le cas contraire, ils menacent frontalement d’aller rejoindre leur ancien meneur dans l’écurie de Satya Nadella.
Breaking: 505 of 700 employees @OpenAI tell the board to resign. pic.twitter.com/M4D0RX3Q7a
— Kara Swisher (@karaswisher) November 20, 2023
Côté Redmond, on semble d’ailleurs avoir préparé le terrain à cette vaste mutinerie. La lettre explique spécifiquement que Microsoft a garanti une place dans l’équipe d’Altman à tous ces démissionnaires potentiels s’ils décidaient de sauter le pas. Et si cela se concrétise, Microsoft aura réussi une opération sans précédent dans l’histoire de la tech moderne.
En effet, il n’est pas rare que des pointures des nouvelles technologies changent d’écurie pour se consacrer à des projets plus ambitieux, ou plus en accord avec leurs priorités personnelles. Mais une telle transhumance d’employés hautement qualifiés serait tout simplement inédite dans le monde de la Big Tech.
En règle générale, pour réussir une telle manœuvre, la seule solution est de racheter la totalité de l’entreprise. Mais ici, Microsoft pourrait récupérer presque toutes les forces vives d’OpenAI — et par extension, un vaste pan de sa précieuse expertise — sans véritablement l’acquérir. En d’autres termes, Satya Nadella vient peut-être de faire main basse une entreprise à 90 milliards de dollars sans débourser le moindre centime, tout en se débarrassant de son modèle commercial fragile !
Toute la tech retient son souffle
Et il y a encore une cerise supplémentaire sur l’énorme gâteau que le conseil d’administration d’OpenAI a servi à Microsoft. En effet, OpenAI est constituée de deux branches distinctes, l’une à but non lucratif et l’autre à bénéfices plafonnés. Il y a donc des limites à ce que la firme de Redmond peut en tirer en tant qu’actionnaire majoritaire, aussi bien en termes de contrôle que de bénéfices.
Mais en absorbant la majorité des effectifs sans récupérer l’entreprise en tant que telle, Microsoft pourrait s’affranchir de toutes ces restrictions fonctionnelles et financières. De quoi installer un début de monopole sur l’IA et piloter le développement de la technologie comme bon lui semble afin d’en profiter financièrement, bien au-delà de ce qui lui est autorisé dans le cadre de son contrat avec OpenAI.
En, résumé : si ces 500 employés passent à l’acte, Microsoft aura absolument tout gagné — le beurre et l’argent du beurre, mais aussi la vache, la crémière et ses enfants. Il conviendra donc de surveiller cette affaire comme le lait sur le feu, car la décision des quelques centaines d’employés pourrait redistribuer massivement les cartes dans le monde de l’IA.
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