Des chercheurs chinois ont récemment dévoilé des travaux qui ont laissé la communauté scientifique bouche bée ; ils ont créé un bébé macaque « chimérique » à partir des cellules souches de deux embryons génétiquement distincts. Selon leur papier, publié dans la prestigieuse revue Cell, c’est la première fois qu’un primate chimérique naît avec une « haute proportion » de cellules issues du donneur, et cette expérience pourrait avoir des retombées considérables.
C’est quoi, une chimère ?
Le terme de chimère désigne un organisme qui contient des cellules issues de deux organismes différents. Contrairement à la grande majorité des individus normalement constitués, une chimère présente donc un double patrimoine génétique, avec deux ADN distincts qui cohabitent au sein d’un même organisme.
Cette situation peut survenir naturellement à travers certains processus qui interviennent pendant le développement du fœtus, notamment lorsque deux embryons fusionnent pendant les premières étapes de la croissance. C’est par exemple le cas chez certaines espèces de ouistitis (voir cet article de recherche).
Mais le plus souvent, les chimères sont artificielles, c’est-à-dire créées en laboratoire grâce à des techniques d’ingénierie génétique. Pour y parvenir, les chercheurs partent de cellules souches embryonnaires, qui peuvent se différencier en un tas de cellules différentes.
L’objectif de cette démarche est d’étudier des processus biologiques complexes qui jouent un rôle déterminant dans le développement des organismes. Par exemple, on peut utiliser des cellules souches qui portent des mutations génétiques bien spécifiques pour étudier comment elles affectent la physiologie et la santé de l’individu.
Un taux de chimérisme record
C’est dans cette dernière catégorie que tombe le singe étudié par les chercheurs chinois. Pour lui donner naissance, ils ont commencé par prélever des ovules receveurs chez des macaques crabiers femelles avant de les fertiliser in vitro.
En parallèle, ils ont extrait des cellules souches d’embryons donneurs âgés d’environ une semaine. Ces dernières ont ensuite été modifiées génétiquement de façon à les rendre fluorescentes. Cette étape permet de faire la distinction entre les cellules qui se développent à partir de l’ovule fertilisé, et celles qui se développent à partir de ces cellules souches dans la future chimère.
Après cette manipulation, ils ont injecté ces cellules souches dans 74 embryons receveurs. Les plus solides ont ensuite été implantés chez 40 mères porteuses, avec des résultats mitigés. Les greffons ont eu du mal à prendre ; la grossesse a démarré seulement chez 12 de ces femelles. Au bout du compte, une seule d’entre elles a fini par donner vie à un bébé.
Après la naissance, les chercheurs ont analysé plusieurs tissus du bébé macaque, dont le cerveau, le cœur et les poumons. L’objectif était de déterminer le taux de chimérisme, c’est à dire la proportion des cellules qui descendent des cellules souches de l’embryon donneur. Pour y parvenir, il suffit de vérifier la présence du marqueur fluorescent vert cité plus haut.
Et le résultat était assez spectaculaire. Dans les 26 tissus testés, le taux de chimérisme variait enter 21 % et 92 %, avec une moyenne de 67 % — d’où la teinte verdâtre du petit singe. C’est le score le plus élevé jamais atteint chez un primate, et de très loin. Dans les études comparables, ce taux se situait généralement entre 0,1 % et 4,5 %.
Un vrai succès expérimental…
L’intérêt de travailler avec des primates, c’est que génétiquement parlant, ils sont très proches de l’humain – nettement plus que les modèles traditionnels de la biologie du développement, comme les souris. En étudiant la physiologie des singes, on peut donc tirer des conclusions souvent très pertinentes sur la biologie humaine.
Les primates chimériques permettent d’aller encore plus loin dans ces travaux. Ils pourraient permettre aux chercheurs de conduire des études extrêmement pointues sur des maladies graves, des traitements à base de cellules souches, des greffes d’organes, le fonctionnement de certains médicaments, et ainsi de suite.
Jusqu’à présent, ces taux de chimérisme de quelques pourcents rendaient ces primates chimériques peu pertinents dans le cadre de la recherche fondamentale. Mais désormais, ce taux supérieur à 50 % pourrait ouvrir la voie à de nouveaux travaux beaucoup plus avancés. D’un point de vue strictement expérimental, il s’agit donc d’un succès retentissant, et d’une avancée intéressante pour le secteur médical qui se doit d’être saluée.
… et toujours les mêmes questions éthiques
Mais tout n’est pas rose pour autant. Même si ces travaux respectent scrupuleusement les règles d’éthique chinoises, ils n’ont pas manqué de faire resurgir des tas de questions difficiles sur les limites de l’expérimentation animale.
C’est d’autant plus vrai lorsqu’on touche à des primates (dont font d’ailleurs partie les humains) et surtout à la biologie du développement, comme c’est le cas ici. Ces travaux assez exploratoires ont souvent des conséquences extrêmement lourdes sur la santé des cobayes. Ce macaque chimérique, par exemple, a dû être euthanasié après dix jours seulement. Il souffrait d’hypothermie et de difficultés respiratoires.
De plus en plus de techniques alternatives commencent à apparaître pour éviter d’avoir recours à des cobayes conscients. On peut notamment citer la recherche sur les organoïdes, ces petites structures cellulaires artificielles qui reproduisent le fonctionnement de certains tissus. Mais à l’heure actuelle, il n’existe toujours pas de plateforme expérimentale capable de reproduire toutes les nuances du fonctionnement d’un organisme entier, ce qui est malheureusement indispensable pour les travaux les plus poussés en biologie.
Il faudra donc espérer que les travaux de ce genre ouvriront aussi la voie au développement de substituts suffisamment avancés pour faire progresser la médecine, tout en limitant les recours aux expériences qui vont au-delà des premiers stades du développement.
Le texte de l’étude est disponible ici.
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