Pour la toute première fois, des physiciens ont réussi à capturer des électrons au sein d’un cristal en trois dimensions. Cette expérience ouvre la voie à de nouvelles manières d’explorer des thématiques telles que la supraconductivité.
Dans les matériaux conducteurs, les électrons ont tendance à se comporter comme une horde de bambins surexcités lorsque sonne l’heure de la récréation ; ils se déplacent dans tous les sens et s’entrechoquent dans un désordre complet.
Mais lorsqu’ils sont forcés de s’organiser, ce chaos laisse place à une harmonie stupéfiante. Comme une classe rangée en rang d’oignon en attendant le professeur, tous les électrons peuvent s’installer exactement dans le même état d’énergie, et se comporter comme une seule et unique entité ; on parle alors de « flat band » (littéralement « bande plate »).
C’est une situation qui intéresse énormément les physiciens. En effet, la théorie prédit que dans cet état, les électrons développent une relation très intime au niveau quantique ; ils se mettent à partager de nombreuses propriétés qui sont directement responsables de phénomènes comme la supraconductivité — la capacité à conduire un courant électrique sans la moindre résistance.
Dompter les électrons, un exercice difficile
Mais forcer de nombreuses entités à collaborer ainsi est nettement plus facile à dire qu’à faire, autant pour les instituteurs que pour les chercheurs. Les physiciens ont déjà réussi à forcer la main aux électrons afin d’obtenir une bande plate, mais seulement dans des conditions bien précises.
Pour y parvenir, la manipulation la plus courante consiste à les piéger dans un matériau en deux dimensions, c’est-à-dire avec un seul atome d’épaisseur. Cela permet d’obtenir une surface parfaitement plane, sans la moindre aspérité susceptible de troubler l’unité des électrons. Mais c’est un cas de figure idéal qui n’existe pas vraiment à l’état naturel ; tous les matériaux utilisés dans l’industrie, loin des laboratoires de recherche, sont toujours des matériaux en trois dimensions.
Les chercheurs tentent donc de mettre en place des conditions de flat band dans un matériau 3D pour obtenir de nouvelles propriétés très intéressantes pour l’industrie. Personne n’y était parvenu jusqu’à présent ; mais une équipe du prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT) vient enfin de combler cette lacune.
Un piège à électrons inspiré de l’artisanat japonais
Pour y parvenir, les chercheurs se sont mis à la recherche d’une structure tridimensionnelle capable de piéger des électrons, comme ils l’avaient déjà fait dans des matériaux en 2D dans une précédente étude.
Dans ces travaux, ils avaient jeté leur dévolu sur un motif inspiré du kagome, l’art japonais du tissage de paniers. Les paniers produits avec cette technique sont constitués de triangles dont les coins se superposent, formant ainsi un réseau d’hexagones entourés de petits triangles. Ils avaient remarqué que les électrons avaient tendance à rester piégés dans ces petits triangles périphériques au lieu de sauter à travers le treillis. L’équipe a donc tenté de trouver un équivalent 3D de ce motif.
Ils ont épluché des centaines de matériaux exotiques dans une base de données pour trouver le candidat parfait, et ont fini par tomber sur le pyrochlore — un minéral avec une géométrie atomique extrêmement symétrique. La structure des atomes forme un motif à base de cubes dont les coins se superposent, un peu comme dans cette fameuse structure kagome.
Ils ont donc créé des cristaux de pyrochlore en laboratoire, en faisant refroidir du calcium et du nickel fondus dans des conditions très contrôlées. En théorie, les électrons de ce matériau devraient donc être dans ce fameux état de flat band. Mais encore fallait-il le vérifier, ce qui est nettement plus compliqué que dans un treillis en deux dimensions.
Le premier piège à électrons en trois dimensions
En effet, ces mesures se basent sur le principe de la photoémission. Cette technique consiste à projeter des photons isolés en différents points pour éjecter des électrons dont l’énergie peut être mesurée individuellement. S’ils présentent tous une énergie strictement identique, on peut en déduire qu’ils sont dans un état de flat band. Mais la photoémission fonctionne très mal avec les matériaux 3D.
« Pour ces expériences, il faut typiquement une surface très plate », explique Riccardo Comin, co-auteur principal de l’étude. « Mais à l’échelle atomique, ces matériaux 3D sont comme de minuscules montagnes avec une structure très irrégulière. C’est une des raisons pour laquelle personne n’a pu démontrer qu’on pouvait y piéger des électrons ».
Pour surmonter cet obstacle, ils ont eu record à une variante encore plus sophistiquée de la photoémission appelée ARPES. Elle permet de cibler des emplacements bien précis sur une surface irrégulière. « C’est comme poser un hélicoptère sur une minuscule plateforme dans ce paysage escarpé », résume Comin.
Ils ont ainsi pu prouver que l’archimajorité des électrons, à quelques irrégularités près, présentaient exactement la même énergie : le cristal de pyrochrome était donc bel et bien dans un état de flatband.
Il s’agissait déjà d’un très beau succès expérimental, mais les auteurs ont souhaité aller plus loin. À partir de là, ils ont voulu vérifier s’ils pouvaient exploiter la synchronisation des électrons pour donner des propriétés particulières au matériau. Ils ont donc synthétisé un autre cristal qui présentait la même géométrie, mais avec d’autres atomes (du rhodium et du ruthénium).
Selon les calculs des auteurs, cette configuration devrait forcer les électrons dans un état de flat band avec une énergie nulle, ce qui donne des propriétés supraconductrices au matériau. Et c’est précisément ce qu’ils ont réussi à obtenir.
Vers une nouvelle génération de supraconducteurs ?
C’est donc une expérience assez fascinante, car elle pourrait ouvrir la voie à une nouvelle génération de supraconducteurs. En effet, tous les supraconducteurs actuels ne présentent ces propriétés très utiles que dans des conditions très particulières. En règle générale, il faut que le matériau soit à une température proche du zéro absolu, ou à une pression extrêmement élevée.
Tout l’enjeu, c’est donc de trouver un matériau capable d’exprimer ces propriétés supraconductrices à une température raisonnable et à une pression proche de celle de l’atmosphère. Cela déboucherait sur une révolution technologique absolument gigantesque, avec des applications dans des tas de domaines comme la fusion nucléaire, les transports, l’informatique quantique…
Les supraconducteurs ambiants sont donc devenus l’un des Graals de la physique moderne. Des tas de chercheurs se sont lancés à la recherche de ce matériau encore hypothétique dans l’espoir de rafler un Prix Nobel plus que mérité. Mais dans la précipitation, de nombreuses études sur ce sujet ont eu tendance à mettre la charrue avant les bœufs.
Plusieurs équipes ont déjà affirmé avoir trouvé un tel matériau révolutionnaire, mais ces résultats ont systématiquement été démantelés par la suite. Nous l’avons encore constaté cet été avec l’affaire du LK-99 ; encore une fois, le « premier supraconducteur ambiant » était très loin de répondre à cette définition (voir notre article ci-dessous).
Mais la donne pourrait changer avec ces nouveaux pièges à électrons en trois dimensions. « Nous avons montré qu’avec cet arrangement d’atomes spécifiques, nous pouvions toujours trouver ces flatbands ; ce n’était pas qu’un coup de chance », explique Comin. « Désormais, tout le défi sera d’optimiser la structure pour stabiliser de nouveaux matériaux qui pourraient maintenir une supraconductivité à une température plus élevée. C’est un nouveau paradigme pour la recherche de matériaux avec des propriétés quantiques intéressantes. »
Le texte de l’étude est disponible ici.
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