Depuis quelques années, de plus en plus de chercheurs s’intéressent aux particules actives. Ce terme désigne une classe de particules micro- ou nanométriques qui sont capables de déplacer de façon autonome, sans l’intervention d’une force externe. Pour ce faire, elles convertissent l’énergie à disposition dans leur environnement en mouvement directionnel, contrairement aux particules qui se content de se déplacer aléatoirement sous l’effet de l’agitation thermique.
La recherche dans ce secteur accélère rapidement en ce moment, car les spécialistes espèrent trouver des applications concrètes très intéressantes aux particules actives. Ils estiment qu’un jour, elles pourraient être à la base d’une nouvelle classe de matériaux avancés, rassemblés sous le nom de « matière programmable ».
Mais avant d’en arriver là, il faut commencer par comprendre le comportement de ces étranges objets afin de trouver des manières de les manipuler. C’est ce qu’ont cherché à faire des équipes de Raphael Wittkowski, de l’Université de Münster (Allemagne), et de Michael Cates, de l’Université de Cambridge (Angleterre).
Des amas au comportement étrange
Dans le résumé de leurs travaux, ils expliquent que la vitesse de déplacement de certaines particules actives dépend de leur orientation. Cette relation devient très importante lorsque l’on considère de grands groupes de particules. Lorsqu’elles entrent en collision, leur orientation s’en retrouve modifiée, ce qui change leur direction et leur vitesse. Et lorsqu’on raisonne non plus à l’échelle des particules individuelles, mais du système entier, cela peut donner lieu à des phénomènes très intéressants.
Les équipes de Wittowski et Cates ont réussi à mettre en évidence certains de ces phénomènes qui pourraient être exploitables en pratique. Grâce à des simulations informatiques poussées, ils ont montré que dans ces conditions, les particules actives avaient tendance à former spontanément de gros amas. Un constat étonnant, sachant que les particules étudiées ne présentaient aucune propriété magnétique ; en théorie, il n’y a aucune raison qu’elles se rassemblent de cette façon, puisqu’elles ne s’attirent pas entre elles.
Ils n’ont pas réussi à déterminer l’origine de ce phénomène ; mais en tentant d’y parvenir, ils ont mis le doigt sur d’autres phénomènes assez fascinants. Il se trouve que ces amas ne sont pas statiques, mais extrêmement dynamiques.
« Normalement, si l’on raisonne en termes de moyenne statistique, les particules dans ce genre d’amas devraient simplement rester où elles sont », explique Stephan Bröker, auteur principal de l’étude. « On s’attendait donc à ce que ça soit le cas ici, mais nous avons observé quelque chose de complètement différent. Les particules sortent de l’amas d’un côté, puis elles y entrent à nouveau de l’autre côté, produisant un flux constant de particules ».
Un pas intéressant vers la « matière programmable »
Ils ont aussi observé un autre phénomène surprenant. En règle générale, ces amas de particules actives adoptent une forme de cercle. Mais ces particules dont la vitesse dépend de l’orientation se comportent très différemment. Elles se rassemblent pour former des formes diverses qui varient en fonction de cette relation. Plus la vitesse des particules est conditionnée par leur orientation, plus la forme de l’amas s’en retrouve affectée.
« En théorie, nous pouvons forcer les particules à se disposer dans toutes les formes que l’on souhaite », explique Jens Bickmann, co-auteur de l’étude. Pour l’instant, les chercheurs ont observé des ellipses, des triangles et des carrés. Un constat très intéressant, puisque c’est typiquement le genre de comportement qui pourrait être utile dans ces fameux « matériaux programmables ». « Nous pouvons “peindre” avec, pour ainsi dire », résume Bickmann.
« Cela donne une vraie importance pratique à ces résultats », renchérit son collègue Michael te Vrugt. « Pour des applications techniques, comme la création de matière programmable, il faut pouvoir contrôler la façon dont ces particules s’assemblent. Et avec notre approche, c’est tout à fait possible », se réjouit-il.
Évidemment, ces travaux n’en sont encore qu’à leurs balbutiements. Les études sur la matière programmable sont encore très exploratoires, et il est difficile de donner des exemples précis d’applications pratiques pour le moment. Mais on peut tout à fait imaginer que ce genre de technologie pourrait se trouver une place dans des disciplines comme la nanofabrication, la chimie synthétique, ou encore la médecine. Il conviendra donc de suivre attentivement l’évolution de cette niche académique qui pourrait rapidement accoucher d’innovations fascinantes.
Le texte de l’étude est disponible ici.
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