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Comment l’étrange cycle de vie des cigales reprogramme la chaîne alimentaire

Il reste de nombreuses énigmes sur le cycle de vie particulier des cigales, mais leur impact sur la dynamique des forêts est de plus en plus évident.

L’étrange cycle de vie des cigales est une énigme qui laisse toujours les entomologistes perplexes, malgré des décennies d’études acharnées. À la fin de l’été, les femelles pondent des centaines d’œufs dont sortent des larves qui vont ensuite s’enfouir dans le sol pendant une période qui peut aller de dix mois à plus de dix ans en fonction des espèces.

C’est particulièrement vrai pour les représentantes du genre Magicada, où cette période d’incubation dure typiquement soit 13, soit 17 ans. Des chiffres qui ont rapidement interpellé les chercheurs, et pour cause : il s’agit de nombres premiers — qui ne peuvent être divisés que par un et par eux-mêmes.

Selon certains chercheurs, c’est tout sauf une coïncidence si ces durées se sont imposées à la faveur de la sélection naturelle. Statistiquement, le fait de vivre selon un calendrier axé autour d’un nombre indivisible réduit massivement les probabilités de rencontrer certains prédateurs, notamment un certain parasite dont la durée de vie est de deux ans. Mais il n’existe toujours pas de consensus définitif.

Et ce n’est pas le seul élément qui demeure mystérieux. Car après cette longue sieste, elles émergent en masse lors d’une grande « naissance » synchronisée. Lors d’une éclosion de Magicicada septendecim dans l’est des États-Unis en 2013, ce sont plusieurs dizaines de milliards d’individus qui ont émergé en l’espace de quelques jours !

La source de ce timing parfait est une énigme que les chercheurs tentent de résoudre depuis longtemps – sans succès jusqu’à présent. Il existe des pistes très prometteuses qui reposent notamment sur la température du sol, mais ce paramètre ne suffit pas à expliquer comment autant d’individus peuvent se montrer aussi ponctuels après plus de dix ans sous Terre.

Au-delà de la biologie des cigales en elles-mêmes, les chercheurs s’interrogent aussi par rapport à l’impact de ces émergences de masse sur les écosystèmes. A cause de la longueur du cycle, il y a malheureusement assez peu d’opportunités de les étudier rigoureusement.

Des pulsations de biomasse à l’impact très concret

Trois universités américaines ont cependant relevé le défi. Après une éclosion massive en 2021, ils ont tenté d’estimer l’impact global de cette prolifération. Pour y parvenir, ils ont passé en revue des dizaines d’espèces d’oiseaux, d’insectes et de végétaux. Après plus de deux ans de travail acharné, ils ont enfin publié le résultat de leur enquête. Ils ont observé que ces véritables éruptions de cigales chamboulent complètement la dynamique des forêts sur de longues périodes.

Cet effet est particulièrement visible au niveau de la chaîne alimentaire. Sans surprise, la grande majorité des 82 espèces d’oiseaux étudiées ont modifié leurs habitudes pour profiter de cette opportunité, indépendamment de leur régime normal. Qu’ils se nourrissent de graines, de nectar, de fruits ou de poisson, presque tous les oiseaux sont allés piocher dans cet énorme buffet volant. 

Le gobemoucheron gris-bleu
De nombreuses espèces, comme le gobemoucheron gris-bleu, profitent de ce grand buffet à ciel ouvert. © Erikwlyon – Wikimedia Commons

Mais en se gavant de cigales, les volatiles ont aussi délaissé d’autres espèces d’insectes. Par conséquent, leur population a explosé. C’est particulièrement vrai pour Acronicta increta, la chenille la plus commune dans la zone couverte par l’étude ; en l’espace de quelques mois, le nombre de larves a été multiplié par cinquante.

Et forcément, cela a eu un effet très concret à un autre niveau de la chaîne alimentaire. En effet, Acronicta increta se nourrit de feuilles de chêne. A l’été 2021, les chercheurs ont donc constaté que les populations de jeunes chênes étaient en très mauvais état. Ces arbres avaient été dévorés en masse par les chenilles, qui ont bénéficié d’un répit temporaire grâce à l’émergence des cigales.

Mais cela ne signifie pas que c’est une mauvaise nouvelle pour tous les végétaux ; c’est même le contraire. Car ces innombrables cigales ne sont pas éternelles. Et lorsqu’elles meurent, c’est un véritable pluie de nutriments qui s’abat sur la forêt. C’est alors au tour des plantes de se joindre au banquet. La flore peut ainsi proliférer, avec tout ce que cela implique pour les espèces qui s’en nourrissent. Et ainsi de suite.

Une reprogrammation de la chaîne alimentaire

Et il ne s’agit que de quelques exemples des très nombreuses ramifications de ce phénomène. « Notre étude montre que l’émergence des cigales périodiques peut “reprogrammer” les chaînes alimentaires des forêts », expliquent les auteurs. « Cela modifie la façon dont l’énergie circule dans le système, ce qui affecte de nombreux niveaux trophiques » (les différents étages d’une chaîne alimentaire).

D’autres études avaient déjà montré que des oiseaux changent de régime alimentaire suite à ces éruptions de cigales. En revanche, c’est la première fois que les répercussions de ces « pulsations de biomasse » sont documentées à cette échelle.

Pour l’instant, les conséquences de cette dynamique sur le long terme ne sont pas claires ; il faudrait une étude systématique encore bien plus longue pour avoir suffisamment de recul. Mais il est désormais évident que l‘étrange cycle de vie de ces cigales a une influence considérable sur leurs écosystèmes, et il sera intéressant de voir si d’autres chercheurs parviennent un jour à déterminer précisément l’ampleur de cet impact.

Le texte de l’étude est disponible ici.

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Source : Science

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