Dans toute l’aérospatiale, il n’y a tout simplement aucune entreprise qui est capable de rivaliser avec SpaceX en termes de cadence de lancement. Les troupes d’Elon Musk tirent plus de fusées que n’importe quel concurrent, et avec une avance considérable… mais elles ne comptent pas s’arrêter en si bon chemin. D’après Bill Gerstenmaier, le vice-président de la branche construction et fiabilité cité par Space.com, elle va tenter d’augmenter ce rythme record à un niveau étourdissant.
La période 1960-1990 était une période dorée pour l’aérospatiale mondiale, portée par la rivalité entre les agences spatiales russes et américaines. Sur ces trois décennies, plus de 100 fusées ont atteint l’orbite terrestre tous les ans, avec un pic à 129 lancements en 1984. L’industrie a ensuite connu une période de creux. Le rythme a chuté significativement, jusqu’à repasser sous la barre des 50 lancements orbitaux en 2005 — le chiffre le plus bas depuis 1961, selon Statista.
SpaceX prévoit 144 lancements en 2024
À partir de là, la courbe est repartie à la hausse grâce à l’éclosion progressive de l’aérospatiale privée, et notamment grâce à l’arrivée du Falcon 9 en 2010. Depuis son premier vol, SpaceX a démocratisé la récupération partielle de ce lanceur, ce qui lui a permis d’augmenter massivement son rythme de lancement. En 2021, le record historique de 1984 a fini par tomber avec un total de 132 lancements orbitaux. Et depuis, on assiste à une véritable explosion.
En 2022, 174 engins ont atteint l’orbite, avec 61 lancements réussis pour la fusée vedette de SpaceX. Une tendance qui s’est confirmée en 2023 ; depuis le 1er janvier, l’entreprise d’Elon Musk a déjà lancé 74 véhicules vers l’orbite, soit un tir tous les quatre jours. Et elle compte même dépasser la barre mythique des 100 lancements d’ici le 31 décembre.
C’est un objectif ambitieux qui nécessiterait d’augmenter considérablement la cadence déjà impressionnante des dix premiers mois. SpaceX en semble toutefois capable, car la firme continue de déployer de plus en plus de satellites Starlink pendant que les autres clients se bousculent au portillon.
Mais qu’elle y parvienne ou pas en 2023, il n’y a presque aucun doute que la barre des 100 lancements sera largement dépassée en 2024. Selon Bill Gerstenmaier, l’entreprise compte lancer 12 missions orbitales chaque mois. Cela représenterait 144 fusées en une seule année, et pour une seule entreprise privée — soit plus que tous les acteurs de l’aérospatiale pendant l’année 1984, qui a conservé le record pendant 27 ans !
La constellation Starlink au cœur de cette dynamique
Pour atteindre ce chiffre ahurissant, l’entreprise comptera énormément sur Starlink. La constellation de satellites web pèse lourd dans ses opérations. Un peu plus de 5000 engins ont déjà été déployés au total, et en 2023, ils représentent environ 60 % des lancements.
Cela signifie qu’avant d’atteindre le seuil des 12 000 satellites en orbite, qui constitue la limite dans le cadre de son accord actuel avec la Federal Communications Commission, SpaceX peut encore en déployer environ 7000. Au rythme actuel, cela représenterait environ 350 tirs (la dernière version, Starlink V2 Mini, est déployée à raison d’une vingtaine de satellites par lancement).
SpaceX dispose donc d’une marge de manœuvre considérable pour atteindre son objectif de 144 lancements en 2024 ; elle pourrait atteindre ce chiffre rien qu’avec des missions Starlink, si les régulateurs l’y autorisent.
La NASA et les chercheurs s’inquiètent
Mais à partir de là, il sera plus difficile d’augmenter la cadence. À moins d’une explosion des commandes par d’autres clients, SpaceX va devoir compter sur la coopération des autorités. Cela fait déjà trois ans que l’entreprise se débat les régulateurs américains pour obtenir l’autorisation de lancer 30 000 satellites Starlink supplémentaires. Mais jusqu’à présent, la FCC n’a pas donné son aval, et de nombreux acteurs y sont farouchement opposés.
On peut notamment citer la NASA, qui craint qu’une constellation aussi étendue ne représente une menace pour ses activités. En effet, avec autant de satellites en orbite, il deviendrait de plus en plus difficile de trouver des fenêtres de lancements pour les autres missions spatiales.
Les chercheurs, de leur côté, ne sont pas non plus enthousiasmés par ce projet. Il est de plus en plus évident que le nombre croissant de satellites commence à avoir un impact néfaste sur les observations astronomiques. Et avec plusieurs dizaines de milliers d’engins en orbite, certains travaux scientifiques pourraient devenir complètement ingérables. Certains craignent même que la situation ne dégénère jusqu’au syndrome de Kessler.
Il sera donc intéressant de suivre l’évolution de ces rapports de force entre les régulateurs, la communauté scientifique, et le chouchou hyperactif de l’aérospatiale américaine.
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