En étudiant les cernes d’un arbre âgé de plus de 14 300 ans dans les Alpes françaises, une équipe de chercheurs franco-britanniques a fait une découverte fascinante. Ils y ont trouvé un énorme pic de carbone 14 qui a été provoqué par une tempête solaire aux proportions dantesques. Si un événement de ce genre survenait aujourd’hui, il aurait des conséquences absolument catastrophiques pour l’humanité, encore au-delà du célèbre Événement de Carrington.
À la surface du Soleil règne un champ magnétique extrêmement intense et dynamique. Ses lignes se réarrangent en permanence à cause des gaz électriquement chargés qui y circulent à toute vitesse. Parfois, ces lignes de champ peuvent se replacer de façon très rapide, à la manière d’un élastique sous haute tension.
Ces reconfigurations brutales donnent lieu à plusieurs types de phénomènes comme des éruptions solaires. Ce sont des explosions qui dégagent une énergie gigantesque, parfois équivalente à la détonation simultanée de plusieurs milliards de bombes H. Il en résulte des flux de particules à très haute énergie qui voyagent à une vitesse proche de celle de la lumière. Parfois, ces éruptions solaires arrachent d’immenses nuages de plasma emprisonnés dans une bulle magnétique ; on parle d’éjection de masse coronale (CME).
Lorsque ces déluges de particules chargées voyagent en direction de notre planète, elles se heurtent avec fracas à la magnétosphère terrestre. On obtient alors ce qu’on appelle une tempête solaire. Ce sont ces phénomènes qui sont notamment responsables des aurores, mais pas seulement.
Les tempêtes solaires extrêmes, des événements cataclysmiques
Car si la majorité des tempêtes solaires n’ont aucune conséquence directe pour les terriens, les plus intenses d’entre elles peuvent avoir des effets considérables sur les systèmes électriques et les équipements de communication. Par exemple, il arrive parfois qu’elles provoquent des black-out radio brefs, mais de très grande envergure. Et dans les cas les plus extrêmes, l’addition peut être encore plus salée.
L’exemple le plus connu est celui de l’Événement de Carrington, en 1859. Il s’agit de la plus grosse tempête solaire jamais observée directement. Elle était due à une gigantesque éjection de masse coronale qui a enfoncé le champ magnétique terrestre, comme un énorme bélier invisible.
Lors de son impact avec la magnétosphère, elle a généré des aurores spectaculaires qui ont illuminé le ciel jusqu’aux Caraïbes. Mais surtout, elle a aussi généré un chaos sans précédent dans l’infrastructure électrique balbutiante de la Terre, désormais plus exposée à cause de l’affaissement de la magnétosphère.
Les câbles télégraphiques ont été complètement surchargés par le déluge de particules. Des opérateurs ont subi de violentes décharges, et des incendies se sont déclarés spontanément en de nombreux points du réseau. Il va sans dire qu’un tel événement aurait des conséquences catastrophiques aujourd’hui, à une époque où toute l’humanité dépend énormément de tous ces systèmes électriques.
Et pourtant, le Soleil a d’autres caprices encore nettement plus violents en réserve. Il existe encore une autre classe de tempêtes solaires nettement plus intenses : les Événements de Miyake. Leur origine exacte est très mal comprise, car à l’heure actuelle, aucun n’a été observé directement. Mais les traces indirectes retrouvées par les chercheurs ne laissent pas de place à l’interprétation : les huit événements de Miyake enregistrés à ce jour ont produit des déluges de particules si puissants qu’ils feraient passer l’événement de Carrington pour une simple petite averse.
La plus grosse tempête solaire jamais documentée
C’est là qu’intervient l’équipe d’Édouard Bard, professeur de climatologie au Collège de France et auteur de cette étude. Avec son équipe, il a récemment analysé des troncs d’arbres extrêmement anciens dans la région de Gap, entre Nice et Lyon. « Trouver une telle collection d’arbres préservés était vraiment exceptionnel », indique Céline Miramont, qui étudie les paléoenvironnements et les paléoclimats à l’Université d’Aix-en-Provence.
Si la découverte de ces objets en cours de fossilisation a tant excité les chercheurs, c’est parce qu’il s’agit de superbes archives naturelles. Les cernes qu’ils forment chaque année peuvent enregistrer des tas d’informations. Grâce à une discipline appelée dendrochronologie, qui consiste à étudier individuellement les cernes du bois, on peut ensuite compiler ces traces pour reconstituer de longues périodes de l’histoire climatique, géologique ou cosmique.
On peut notamment y retrouver des traces des tempêtes solaires. « Les événements solaires extrêmes peuvent créer des décharges de particules qui sont conservées sous la forme de gros pics de carbone 14 », explique Bard. Et c’est précisément ce qu’ils ont trouvé dans cette cohorte d’arbres à moitié fossilisés.
En analysant les cernes, ils ont observé un énorme pic de carbone 14 qui remontait à précisément 14 300 ans. Et en l’étudiant de plus près, ils ont déterminé qu’il correspondait à une tempête solaire d’une violence phénoménale. Non seulement ils ont mis le doigt sur un neuvième Événement de Miyake, mais c’était tout simplement le plus puissant à avoir été documenté ! Le flux de particules était presque deux fois plus intense que lors du dernier événement de Miyake en date, qui remonte à environ 2800 ans.
Face aux caprices du Soleil
Si une telle tempête frappait la terre aujourd’hui, les conséquences seraient tout bonnement catastrophiques. Selon les modélisations, la plus grande partie des systèmes électriques seraient instantanément mis hors service, des satellites aux transformateurs électriques. Cela se traduirait notamment par une panne de courant à l’échelle de la planète, et par un black-out de tous les systèmes de communication qui pourrait durer plusieurs mois.
Ces données nous rappellent que le Soleil est aussi une véritable épée de Damoclès suspendue au-dessus de nos têtes. L’étoile est en ce moment dans la phase ascendante de son cycle d’activité de 11 ans. Plus nous approchons du pic, prévu en 2025, plus les tempêtes solaires deviendront fréquentes et intenses. Il va donc falloir croiser les doigts pour que la météo solaire reste calme.
Les données montrent que les phénomènes de classe Miyake sont assez rares. Mais les probabilités ne sont pas négligeables pour autant, comme l’ont montré des chercheurs australiens l’année dernière. « Sur la base des données à notre disposition, il y a environ 1 % de chance de subir un nouvel événement de Miyake au cours de la prochaine décennie », estiment les auteurs de cette étude.
Or, nous n’avons aucun moyen réaliste de nous en protéger à l’heure actuelle. Sans céder au catastrophisme, la seule option, c’est donc de continuer à explorer de nouveaux moyens de détection et de défense… et d’espérer que l’étoile à qui nous devons la vie se montrera clémente.
Le texte de l’étude sera disponible ici après publication.
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