À environ 1000 années-lumière de la Terre, dans la constellation des Voiles, se trouve un objet qui fascine les astronomes depuis plus de 50 ans : le pulsar de Vela. Tout récemment, il a stupéfié la communauté scientifique à travers un événement inédit : il a accouché des rayonnements les plus énergétiques jamais enregistrés chez un objet de cette catégorie. Une observation qui va avoir des conséquences très concrètes sur les modèles cosmologiques.
C’est quoi, un pulsar ?
Le terme de pulsar désigne une catégorie particulière d’étoile à neutron. Ces dernières apparaissent lorsqu’une étoile massive arrive à court de carburant. Dans ces conditions, l’astre n’est plus en mesure d’entretenir les réactions thermonucléaires qui l’alimentent. Rapidement, son cœur s’effondre sur lui-même sous l’effet des forces gravitationnelles extrêmes.
Cela donne lieu à une explosion cataclysmique connue sous le nom de supernova. La masse se retrouve alors soumise à des forces de compression extraordinaires, qui ont pour effet d’agglomérer la majorité des particules restantes sous forme de neutrons. On se retrouve donc avec un objet relativement petit, mais très lourd et donc exceptionnellement dense : une étoile à neutrons est née.
Elles sont si compactes que seuls les trous noirs sont capables de rivaliser sur ce terrain. Les spécialistes estiment que quelques centimètres carrés de ce matériau pèsent plusieurs milliards de tonnes !
Certaines de ces étoiles à neutrons présentent une autre particularité : elles tournent sur elles-mêmes à une vitesse ébouriffante, tout en émettant un puissant flux de particules accélérées par leur champ magnétique très intense. Depuis la Terre, il est parfois possible de capter ces rayonnements par intermittence, comme s’il s’agissait de la lumière d’un énorme phare cosmique. Pour cette raison, ces objets sont appelés des pulsars.
Des particules à l’énergie invraisemblable
La nouvelle observation provient de l’équipe d’Arache Djannati-Ataï. Ce dernier est astrophysicien au laboratoire Astroparticule et cosmologie, une unité mixte affiliée au CNES, au CNRS, au CEA et à l’Observatoire de Paris. Les chercheurs se sont appuyés sur le High Energy Stereoscopic System, ou HESS. C’est un télescope Cherenkov, c’est-à-dire spécialisé dans la mesure des rayonnements de haute énergie.
Comme c’est la coutume en physique des particules, l’énergie de ces rayonnements cosmiques est mesurée en électronvolts, ou eV. Cette unité correspond à la quantité d’énergie gagnée par un électron accéléré par une force d’un volt dans le vide. Traditionnellement, les photons émis par les pulsars présentent une énergie de l’ordre du gigaélectronvolt. Ils excèdent rarement les quelques dizaines de GeV. Mais le 5 octobre dernier, le pulsar de Vela a complètement pulvérisé ce standard — et le terme n’est pas exagéré. Certains photons des rayons gamma enregistrés par les chercheurs ont atteint… 20 TeV, soit environ 20 000 GeV !
C’est un chiffre tout simplement ahurissant. Pour le resituer dans son contexte, c’est un niveau d’énergie supérieur à ce que sont capables de fournir les accélérateurs de particules les plus performants ! Le LHC du CERN, par exemple, est limité à 13,6 TeV. Autre comparaison éloquente : ces photons étaient environ deux millions de fois plus énergétiques que ceux qui sont issus d’une éruption solaire standard.
Jusqu’à ce jour, un seul autre pulsar dans la nébuleuse du Crabe a été mesuré cet ordre de grandeur. Et ses particules n’ont atteint “que” 1 TeV. Un chiffre déjà énorme, mais tout de même vingt fois inférieur à ce qu’a produit le pulsar de Vela.
Des incohérences révélatrices
Au-delà de ces comparaisons, ce qui rend ce chiffre frappant, c’est qu’il semble incompatible avec les caractéristiques du pulsar de Vela. Son champ magnétique n’est tout simplement pas assez large et intense pour accélérer des particules aux énergies mesurées — du moins, pas dans le cadre de la théorie actuelle. Et c’est là que ces travaux deviennent fascinants.
Car il n’y a pas que le niveau d’énergie brut qui rend cette mesure exceptionnelle. En analysant le spectre du rayonnement en détail, les chercheurs ont mis le doigt sur une incohérence. Ils ont constaté une rupture claire entre ces émissions exceptionnelles et les photons moins énergétiques, alors que le spectre est généralement continu dans ce contexte.
Cette discontinuité confirme que ces particules à 20 TeV ne sont pas simplement des photons de plus basse énergie qui ont progressivement accéléré dans le champ magnétique du pulsar. « Cette découverte inédite est difficilement conciliable avec la théorie communément admise », explique le communiqué du CNRS. En d’autres termes : il existe très probablement un autre mécanisme non-identifié qui contribue à les catapulter de cette façon.
Un voyage aux frontières de la physique
À elle seule, cette observation vient donc chambouler nos connaissances sur le fonctionnement des pulsars. « Ces résultats ouvrent la voie à une meilleure compréhension des processus d’accélération extrême dans les objets astrophysiques hautement magnétisés », selon le CNRS.
Désormais, tout l’enjeu va être de mettre la main sur ce mécanisme. Ce sera un travail de longue haleine, connaissant la rareté de ces rayonnements ultra-énergétiques. Mais le jeu en vaut largement la chandelle. Les pulsars extrêmes de ce genre sont de fantastiques laboratoires naturels qui permettent aux chercheurs d’explorer les limites des théories actuelles, à commencer par le modèle standard de la physique des particules.
À chaque fois qu’une observation de ce genre défie ces modèles, on voit donc émerger des zones d’ombre très excitantes. En effet, c’est probablement dans ces lacunes que se cachent les pièces manquantes du puzzle ultime de la physique : la fameuse Théorie du Tout dont rêvait Einstein. Celle-là même qui permettra peut-être un jour de réconcilier sa relativité générale, qui décrit l’infiniment grand, avec la physique des particules, qui cherche à expliquer la dynamique de l’infiniment petit. Avec l’objectif de les réunir dans une théorie unifiée, élégante et inébranlable qui décrit parfaitement tous les mécanismes de notre Univers.
Qui sait ; si l’humanité finit un jour par formaliser une vraie Théorie du Tout, ce sera peut-être grâce aux sursauts des pulsars comme celui de Vela !
Le texte de l’étude est disponible ici.
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