Ce lundi, Katalin Kariko et Drew Weissman ont reçu le prix Nobel de médecine pour leurs travaux qui ont conduit au développement des vaccins à ARN messagers. L’Académie embraye aujourd’hui sur le prix de physique. Les lauréats viennent de tomber : les Français Anne L’Huillier et Pierre Agostini ont été récompensés aux côtés de l’Autrichien Ferenc Krausz pour leurs travaux sur la lumière.
Anne L’Huillier est seulement la cinquième femme à remporter ce Graal académique. Mais ce n’est pas une surprise ; elle avait déjà remporté le prix Wolf en 2022. Cette récompense prestigieuse est souvent considérée comme une rampe d’accès au Prix Nobel. Les experts s’attendaient donc à ce qu’elle fasse partie des favoris, et leur pronostic s’est avéré exact.
Lorsqu’elle a été contactée pendant la cérémonie, L’Huillier était au beau milieu d’un cours qu’elle n’a pas souhaité interrompre, même pour une récompense aussi importante. Le jury a du patienter jusqu’à ce qu’elle ait terminé de s’occuper de ses élèves. Une démarche qui en dit long sur son engagement auprès de la future génération de chercheurs. Et apparemment, ses protégés le lui ont bien rendu; ils étaient très excités et très fiers de leur professeure. “La dernière demi-heure a été mouvementée“, s’amuse-t-elle au téléphone. “L’ enseignement est très important pour moi.”
L’Huillier et Agostini succèdent au Français Alain Aspect, le pionnier de la physique quantique qui a remporté le prix en 2022 aux côtés de John Clauser et Anton Zeilinger (voir notre article).
Quelles découvertes ont été récompensées ?
Plus précisément, les expériences des lauréats ont produit des flashs lumineux si brefs qu’ils sont mesurés en attosecondes — un milliardième de milliardième de seconde. Pour resituer le contexte, il y a autant d’attosecondes dans une seule seconde qu’il y a eu de secondes depuis les origines de l’Univers, à l’époque du Big Bang !
Tout a commencé avec les travaux d’Anne l’Huillier, une Française qui est aujourd’hui affiliée à la prestigieuse université suédoise de Lund. En 1987, elle a découvert que de nombreux motifs particuliers (on parle de partiels, ou overtones en anglais) des signaux lumineux ont tendance à émerger lorsqu’un laser infrarouge traverse un gaz noble.
Ces gaz nobles, comme l’hélium ou le néon, présentent ce qu’on appelle une couche de valence complète ; cela signifie qu’il n’y a aucun “trou” dans la couche d’électrons qui entoure le noyau de l’atome. Cette particularité les rend exceptionnellement stables au niveau chimique, mais c’est un autre point qui intéressait Anne L’Huillier. Elle a déterminé que les partiels qu’elle observait grâce à son laser infrarouge étaient directement liés à ces électrons. Le faisceau charge ces particules d’un surplus d’énergie qui rejaillit ensuite sous forme de lumière.
Avec ce constat, elle a posé les fondations théoriques qui ont conduit à ce prix Nobel de Physique 2023. La prochaine avancée significative est arrivée en 2001, avec les travaux de Pierre Agostini et Ferenc Krausz. En utilisant le principe physique mis en évidence par L’Huillier, Agostini a réussi à produire des séries flash d’environ 250 attosecondes. Krausz, de son côté, a cherché à isoler ces pulsations. Il a réussi à produire un flash unique qui a duré 650 attosecondes.
Pourquoi est-ce important ?
À l’échelle des particules, les changements s’opèrent en quelques dixièmes d’attosecondes. Jusqu’à présent, il était pratiquement impossible de percevoir ces mouvements exceptionnellement fins et rapides. Cela vaut notamment pour les électrons, qui jouent un rôle fondamental dans la structure de la matière. Cet obstacle a longtemps empêché les physiciens d’observer directement la dynamique des particules au sein des atomes et des molécules.
Les trois lauréats ont fait sauter cette barrière technique avec leurs pulsations lumineuses exceptionnellement brèves. Ils ont ainsi défriché une route qui a mené de nombreuses branches de la physique vers d’immenses progrès. En substance, ils ont tout simplement ouvert une nouvelle fenêtre sur l’infiniment petit. Et par extension sur les mécanismes qui gouvernent notre monde à la plus petite des échelles.
Ces travaux ont surtout des implications en physique fondamentale. Mais ils peuvent aussi être utilisés de façon concrète. Par exemple, cette technique est intéressante dans le domaine de l’électronique. Elle ouvre la voie au développement de systèmes capables de se transformer en conducteur ou en isolant en un clin d’œil. La fondation Nobel a aussi identifié des applications pratiques en biologie, par exemple pour identifier des molécules dans des prélèvements sanguins.
Pour plus de détails sur les découvertes du trio, vous pouvez consulter ce document pdf de la Fondation Nobel.
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