Pour la première fois, des chercheurs ont réussi à produire des fils de soie d’araignée ultrarésistants à partir de vers à soie génétiquement modifiés. Les fibres ainsi produites sont six fois plus résistantes que le kevlar, ce matériau notamment utilisé dans des gilets pare-balles et autres équipements de protection haute performance. Et surtout, la technique utilisée pourrait être déclinée pour produire une variété de fibres synthétiques alternatives respectueuses de l’environnement.
Cela fait déjà belle lurette que les chercheurs s’intéressent à la soie des araignées. Depuis la montée en puissance de l’ingénierie génétique, nombreux sont ceux qui ont tenté d’en faire une alternative saine aux fibres synthétiques traditionnelles, comme le nylon. En plus de leur mode de production problématique (ces filières sont souvent très dépendantes des hydrocarbures), elles ont aussi la fâcheuse manie de contribuer au problème des microplastiques, un fléau de santé publique et d’écologie dont nous commençons à peine à mesurer l’impact.
Des êtres vivants et une bonne dose d’ingénierie génétique
Mais dompter ainsi la nature est beaucoup plus facile à dire qu’à faire. Le principal obstacle technique auquel les chercheurs se sont heurtés concerne le revêtement des toiles d’araignées. Ces dernières recouvrent le matériau d’une couche de lipides et de glycoprotéines très importante pour son intégrité structurale ; sans elle, les fibres perdent quasiment toutes leurs propriétés et se désagrègent en un rien de temps.
Au lieu de l’appliquer à l’aide d’une machine, l’équipe de Junpeng Mi, doctorant et chercheur à l’université chinoise de Donghua, a exploré la piste des vers à soie. Ces derniers produisent également une couche protectrice comparable à celle des toiles d’araignée.
Ils ont commencé par isoler le gène responsable de la production de cette protéine chez l’araignée étudiée. Ils l’ont ensuite introduit dans le génome d’œufs fertilisés de vers à soie. Pour ce faire, ils ont utilisé CRISPR-Cas9, les fameux “ciseaux moléculaires” qui ont révolutionné les biotechnologies et la génétique depuis leur découverte par Jennifer Doudna et la Française Emmanuelle Charpentier (avec un Prix Nobel à la clé).
La différence par rapport aux travaux précédents, c’est qu’après avoir introduit ce gène, ils ont procédé à un grand nombre de modifications génétiques dites « de localisation ». Cela a permis de faire en sorte que les protéines de soie produites par les araignées transgéniques puissent interagir correctement avec celles présentes dans les glandes des vers à soie.
Ce genre de manipulation à l’échelle du micromètre est malheureusement assez aléatoire, et les chercheurs ont dû s’y reprendre à de nombreuses reprises pour obtenir quelques spécimens exploitables. Mais leurs efforts ont fini par payer. Au bout du processus, ils ont obtenu des vers capables de produire cette soie d’araignée renforcée, recouverte de ce fameux enduit protecteur.
Un gros potentiel dans un tas d’industries différentes
Et d’après les chercheurs, ce beau succès expérimental pourrait vite avoir des retombées commerciales dans de nombreuses industries. « Nous sommes confiants dans le fait qu’une commercialisation à grande échelle est à l’horizon », explique Mi.
Pour commencer, ces fibres pourraient permettre de produire des vêtements à la fois très confortables et extrêmement résistants. Mais ce n’est qu’un exemple finalement assez réducteur. Leurs performances mécaniques exceptionnelles pourraient aussi être exploitées pour produire des tissus antibalistiques ou même des fils de suture pour les chirurgiens. Les chercheurs estiment aussi que ce matériau pourrait avoir de l’avenir dans des domaines comme l’aérospatiale, la bio-ingénierie, ou les « matériaux intelligents »,. « La soie d’araignée a le potentiel pour devenir une ressource stratégique, et a grand besoin d’être explorée davantage », énumère Mi.
Et le plus intéressant, c’est que ce n’est probablement qu’un début. Maintenant que les chercheurs ont progressé sur ces fameuses manipulations de “localisation”, il serait théoriquement possible de décliner le processus pour produire une grande variété de fibres spécialisées, chacune avec ses propriétés uniques. « Le potentiel des soies d’araignées génétiquement modifiées est sans limites », conclut le chercheur.
Le texte de l’étude est disponible ici.
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