Au tout début du siècle dernier, l’habitat des fourmis Solenopsis invicta (plus connues sous le nom de fourmis de feu) se limitait au centre de l’Amérique du Sud. Depuis, cette espèce particulièrement tenace a fait son petit bout de chemin. Elle a colonisé le Mexique, tout le sud des États-Unis, le sud de la Chine, l’Australie, Taïwan, les Philippines… et d’après une étude récemment publiée dans la prestigieuse revue Current Biology, elle est désormais fermement implantée sur le sol européen. Et c’est tout sauf une bonne nouvelle.
Étonnamment, l’Europe avait été plutôt épargnée jusqu’à présent. Avant cette étude, la présence de cette espèce avait déjà été observée sporadiquement en Espagne, en Finlande ou encore au aux Pays-Bas — mais il n’y avait aucun signe de prolifération à grande échelle sur le sol européen.
Cela a toutefois changé depuis 2019. Les habitants de la région de Syracuse, en Sicile, ont commencé à se plaindre de piqûres de fourmis douloureuses. Un signe évocateur, sachant qu’aucune des espèces locales n’en était capable. Très vite, ces piqûres ont été attribuées à S. invicta.
Pendant l’hiver 2022/2023, ces témoignages ont commencé à se multiplier. Une équipe d’entomologistes est donc partie sur le terrain pour localiser les colonies. Et à leur grande grande surprise, ils ont trouvé 88 nids dans une zone d’à peine 5 hectares, indiquant que l’espèce était déjà déjà beaucoup mieux installée qu’ils ne le suspectaient. Et d’après les modélisations réalisées par les chercheurs, cela pourrait rapidement dégénérer en invasion à grande échelle, avec tout ce que cela implique pour l’écologie du Vieux Continent.
Une des « pires espèces invasives »
En effet, l’arrivée de cette espèce n’augure généralement rien de bon ; elle est régulièrement classée parmi les espèces invasives les plus problématiques. « S. invicta fait partie des pires espèces invasives », explique Mattia Menchetti, auteur principal de l’étude. La première raison, c’est qu’elles peuvent proliférer à un rythme extrêmement élevé. Et une fois qu’elles sont installées, il est excessivement difficile de les déloger.
Elles affichent en effet une capacité de survie qui force l’admiration. Une colonie de S. invicta peut par exemple survivre à de terribles sécheresses qui sonneraient le glas de nombreuses autres espèces de fourmis. À l’inverse, elles peuvent aussi faire face à de vastes inondations en formant de grands radeaux vivants, puis reconstruire un nid à des kilomètres de distance.
Cette résilience est d’autant plus problématique dans les zones récemment colonisées, où elles n’ont que très peu de prédateurs naturels. En fait, c’est même plutôt l’inverse. Plusieurs études ont déjà montré que dans le sud des États-Unis, leur présence a un impact considérable sur de nombreuses espèces d’insectes, d’oiseaux et d’amphibiens, dont les œufs peuvent être complètement décimés. Elles ont aussi tendance à mener la vie dure aux autres espèces de fourmis, qui peuvent être complètement éradiquées sur de larges surfaces.
Un problème pour les humains
Et leur présence impacte aussi les humains. Même si une fourmi isolée n’est pas dangereuse, elle est connue pour être très territoriale et agressive. De plus, sa piqûre est assez douloureuse. Même si la fourmi de feu est loin de la fourmi Paraponera, dont la piqûre fait partie des plus douloureuses du règne animal, elle atteint tout de même 1,2 sur l’échelle de Schmidt, soit à peu près autant qu’une petite abeille.
Elle peut aussi provoquer des chocs anaphylactiques lourds de conséquences, surtout dans les cas où des personnes sont piquées à de très nombreuses reprises. Aux États-Unis, plus de 80 décès ont déjà été attribués à cette espèce.
Mais le principal souci pour l’humanité, c’est que plusieurs études ont montré qu’elles étaient particulièrement sensibles à l’électricité. Elles ont tendance à nicher à proximité d’équipements électriques, et peuvent provoquer des dégâts immenses au niveau de l’infrastructure. Elles sont notamment connues pour ronger les câbles d’alimentation, ce qui peut endommager des moteurs, des lignes d’irrigation, des transformateurs, des lignes de téléphone… Aux États-Unis, l’impact économique de cette invasion se chiffre donc en milliards de dollars chaque année !
Une prolifération à surveiller de près
Selon l’étude citée en début d’article, plus de 7 % du territoire européen pourrait déjà être touché. Et ce chiffre pourrait exploser en seulement quelques années, notamment autour de la Méditerranée. Selon les modélisations des chercheurs, la France est particulièrement exposée.
De plus, les grandes métropoles telles que Barcelone, Rome, Londres ou Paris pourraient être « particulièrement affectées » par cette invasion. Les dégâts économiques pourraient rapidement devenir significatifs, sans parler des conséquences écologiques et de la gêne occasionnée pour les populations humaines.
Pour toutes ces raisons, la prolifération de cette espèce invasive en Europe va devoir être suivie de près. Les auteurs de l’étude expliquent qu’il est urgent d’agir avant que le phénomène n’échappe à tout contrôle. « Des efforts e détection et de réponse rapide sont essentiels pour gérer cette nouvelle menace, avant qu’elle ne se propage de façon incontrôlable ».
Le texte de l’étude est disponible ici.
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