En 1929, l’illustre Edwin Hubble — celui qui a donné son nom à l’un des télescopes les plus importants de l’histoire des sciences — a jeté un immense pavé dans la mare de l’astrophysique en apportant la toute première preuve concrète de l’expansion de l’Univers. Il en a aussi calculé la vitesse, qui a depuis été rebaptisée la Constante d’Hubble-Lemaître pour tenir compte de la contribution cruciale du belge Georges Lemaître.
Depuis, la théorie et les modèles cosmologiques ont énormément progressé. Mais il reste encore de nombreux mystères qui entourent la dynamique de notre univers. L’un des plus importants, c’est une incohérence surprenante qui porte le nom de tension de Hubble. Elle décrit le fait que les différentes méthodes de mesure de la vitesse d’expansion ne parviennent pas à tomber d’accord.
Deux approches pour deux résultats
D’un côté, on a l’approche traditionnelle, qui est basée sur les positions relatives des Céphéides. Ces astres de la famille des supergéants sont des ressources formidables pour les astronomes. Ils présentent un couple de particularités très utiles. La première, c’est que ces étoiles sont extrêmement lumineuses (plusieurs centaines de milliers de fois plus que le Soleil), ce qui permet de les observer de très loin. L’autre, c’est que cet éclat varie selon une période bien précise qui est intimement liée à sa luminosité maximale. Plus la période de variation d’éclat est longue, plus l’étoile est brillante.
Il est très facile de mesurer cette période avec les instruments modernes. A partir de là, on peut calculer sa luminosité grâce à une simple formule mathématique, puis en déduire sa distance avec une grande précision. Ces étoiles servent donc de mètre étalon pour mesurer la distance des galaxies situées à des centaines de millions d’années-lumière, et sont donc des pièces centrales de tous les travaux sur la constante d’Hubble-Lemaître.
En parallèle, on a une autre méthode qui repose sur l’observation des vestiges électromagnétiques du Big Bang. En toute logique, ces deux techniques devraient produire des résultats strictement identiques. Mais ce n’est malheureusement pas le cas. Et depuis que le problème a été soulevé, il provoque bien des maux de tête dans les rangs des astrophysiciens.
Le Webb confirme les conclusions d’Hubble
Pour en trouver la source de cet écart, il n’y a qu’une seule possibilité : construire des observatoires de plus en plus perfectionnés, comme le télescope… Hubble — encore lui ! Lorsqu’il a été déployé en 1990, l’un de ses principaux objectifs était d’améliorer les capacités d’observation des Céphéides pour préciser les mesures de la constante éponyme.
Ces travaux ont permis de faire de grands progrès à ce niveau. Mais au fil du temps, le vénérable télescope a fini par atteindre ses limites. Il est très performant pour observer le pôle bleu du spectre électromagnétique; mais le souci, c’est que ces rayonnements sont très sensibles à la diffusion provoquée par la poussière stellaire, qui est abondante de nombreuses galaxies. Elle complique nettement l’observation, et a tendance à fausser certaines mesures.
Pour obtenir des données plus précises, il faut s’aventurer dans l’infrarouge proche. L’avantage, c’est que cette gamme de fréquences est largement moins dénaturée par ces obstacles. Mais les capteurs d’Hubble sont nettement moins performants dans ce domaine.
C’est là qu’intervient la nouvelle coqueluche des astrophysiciens, le James Webb Space Telescope. Ses instruments, et en particulier sa NIRCam, sont spécialement conçus pour sonder l’infrarouge avec une précision époustouflante. Tout récemment, une équipe l’a donc mis à contribution pour compléter les travaux d’Hubble.
Les chercheurs ont ainsi pu observer plus de 320 Céphéides avec un degré de précision inégalé. La bonne nouvelle, c’est que la campagne d’observation du Webb a confirmé la validité les mesures de son collègue, en plus de les préciser. La piste d’une erreur de mesure a donc été écartée une fois pour toutes. Un grand soulagement pour les chercheurs, qui vont pouvoir se concentrer sur les hypothèses les plus intéressantes.
Un trou béant dans les modèles cosmologiques
En effet, ces résultats ne permettent toujours pas d’expliquer pourquoi le rythme d’expansion ainsi observé est aussi élevé. Il est toujours nettement supérieur à celui qui est prévu par les modèles basés sur le fond diffus cosmologique, ce rayonnement électromagnétique considéré comme une relique du Big Bang.
Le mystère de la tension d’Hubble reste donc entier — et à vrai dire, il vient même de s’épaissir. L’erreur de mesure systématique désormais écartée, il ne reste donc qu’une seule option pour expliquer la tension. Il manque forcément au moins une pièce cruciale dans le grand puzzle de nos modèles théoriques.
Toute la question, c’est de savoir où chercher. À l’heure actuelle, l’hypothèse la plus prometteuse est certainement celle de l’énergie noire (voir notre article). Mais ce n’est pas la seule. Adam Riess, astrophysicien nobélisé en 2012 pour ses travaux sur l’accélération de l’expansion de l’univers, en cite plusieurs autres sur le site officiel du James Webb. Selon lui, la résolution du problème pourrait aussi passer par une révision complète du modèle de la gravité… ou par la découverte d’un nouveau champ ou d’une nouvelle particule qui aurait complètement échappé aux théoriciens jusqu’à présent.
🟣 Pour ne manquer aucune news sur le Journal du Geek, abonnez-vous sur Google Actualités. Et si vous nous adorez, on a une newsletter tous les matins.