Au terme d’un essai clinique conclu avec succès par l’Institut Feinstein, aux États-Unis, un homme tétraplégique a pu récupérer partiellement l’usage de ses mains grâce à une procédure d’un tout nouveau genre. Une grande réussite qui témoigne des progrès rapides de la neuro-ingénierie, et offre de nouveaux espoirs aux millions de personnes atteintes de problèmes moteurs sévères.
Keith Thomas, un New-Yorkais de 45 ans, a perdu l’usage de ses quatre membres en 2020 lors d’un grave accident de plongée qui lui a fracturé la colonne vertébrale au niveau des vertèbres C4 et C5, au bas du cou.
Isolé à l’hôpital pendant plus de six mois en plein cœur de la pandémie de Covid-19, il n’a pas hésité une seule seconde lorsqu’il a eu l’opportunité de rejoindre l’essai clinique conduit par Chad Bouton, professeur spécialisé dans la médecine bioélectronique et la médecine moléculaire. « Il y avait des moments où je ne savais pas si j’allais survivre, ou si j’en avais envie, pour être honnête », raconte-t-il dans le rapport de l’institut.
Une chasse aux neurones
Les chercheurs ont commencé par cartographier le cerveau du patient en utilisant l’IRM fonctionnelle, ou IRMf. C’est une variante de l’imagerie par résonance magnétique classique qui est exclusivement réservée à l’étude du cerveau. Elle consiste à observer le flux sanguin dans les diverses régions de l’organe, qui est directement corrélé à l’activation des neurones concernés.
En d’autres termes, en observant où se dirige le sang, on peut en déduire quels processus cognitifs sont en train de se dérouler en temps réel. En l’occurrence, l’équipe a utilisé ces analyses pour déterminer précisément les régions de son cerveau qui gèrent le mouvement des bras et les sensations au niveau des mains.
Armée de ces informations, une équipe de neurochirurgiens s’est lancée dans une longue opération qui a duré plus de 15 heures. La première phase était surtout exploratoire. Elle consistait à stimuler directement des zones précises de la surface de l’organe pendant que le patient était conscient.
Il ne s’agissait cependant pas d’une séance de torture ; le cerveau ne contient aucun récepteur à la douleur, et Thomas n’a donc absolument pas souffert. L’intérêt de cette approche, c’est que le patient a pu décrire en direct les sensations qu’il ressentait dans les mains lors de chaque stimulation. Cela a permis aux chirurgiens de confirmer qu’ils avaient bien ciblé les bons ensembles de neurones lors de la cartographie par IRMf et d’affiner le positionnement des appareils.
Un double pontage nerveux dopé au machine learning
Après ces vérifications, les chirurgiens ont implanté un total de quatre puces dans l’aire cérébrale responsable du mouvement et celle qui traite les signaux liés au sens du toucher dans les doigts.
Une fois l’opération terminée, ils ont relié ces puces à un ordinateur. Le patient avait pour tâche de se concentrer sur des mouvements précis, comme le fait de serrer le poing, qu’il essayait de réaliser tout en les décrivant. Cela a pour effet d’activer les neurones responsables de ces actions. Une fois capté par les puces cérébrales, le signal est transmis à un programme de machine learning pour qu’il apprenne à faire le lien entre l’activité cérébrale et le mouvement recherché.
L’ordinateur transmet ensuite le signal à des électrodes flexibles placées au niveau de la colonne vertébrale et des avant-bras. Ce système joue donc le rôle d’intermédiaire qui permet de rétablir la communication entre le cerveau et les membres qui a été rompue lors de l’accident. À partir de là, Keith Thomas a commencé à récupérer sa capacité à bouger les bras, les mains et les doigts.
Pour la partie sensorielle, ce sont de minuscules capteurs placés au bout des doigts qui transmettent un signal proportionnel à la pression directement vers la première puce cérébrale. Et après une dernière étape de calibration, il a été capable de prendre la main de sa sœur et de ressentir ce contact physique pour la première fois depuis trois ans. Évidemment, ces mouvements et ces sensations ne sont pas aussi fluides et nuancés qu’avant l’accident. Mais il décrit tout de même cette expérience comme « bouleversante ».
Vers une vraie solution thérapeutique ?
Ce n’est pas la première fois que des pontages nerveux de ce genre sont réalisés. Mais tous les essais cliniques précédents présentaient un point commun : ils se concentraient seulement sur la partie motrice. Une fois déconnecté de l’ordinateur, le patient perdait à nouveau toutes ses capacités.
Et c’est là que le double pontage moteur et sensoriel devient particulièrement intéressant. En effet, les médecins qui accompagnent le patient se sont rendu compte que quatre mois après l’opération, certaines des structures nerveuses qui ont été endommagées lors de l’accident commencent à se régénérer d’elles-mêmes, lentement mais sûrement. Keith Thomas a même recommencé à éprouver des sensations dans son avant-bras et son poignet lorsque le système était inactif !
Il est très improbable qu’il puisse récupérer l’intégralité de ses facultés. Mais ces résultats suggèrent que cette approche qui intègre l’aspect sensoriel n’est pas seulement palliative. Elle comporte aussi de vrais bénéfices thérapeutiques.
Cet essai clinique représente donc bien plus qu’une simple preuve de concept. Il donne l’espoir qu’un jour, des systèmes de ce genre pourraient permettre à des patients de guérir entièrement de leur paralysie. Et la cerise sur le gâteau, c’est que cela pourrait même permettre de gérer d’autres tableaux cliniques très handicapants.
Les chercheurs suggèrent par exemple qu’avec d’autres types de stimulations, notamment au niveau du nerf vague, il pourrait être possible de moduler la réponse immunitaire et les réactions inflammatoires. Cela pourrait grandement améliorer la prise en charge de maladies telles que l’arthrite, la maladie de Crohn, le diabète, le cancer, des maladies auto-immunes comme la sclérose en plaques…
Une excellente nouvelle à la fois pour les scientifiques et les médecins, mais aussi pour Thomas, qui prend son rôle de précurseur très à cœur. « Ce que je veux faire, c’est aider les autres », explique-t-il dans le communiqué de l’institut. « C’est toujours ce que j’ai fait de mieux. Et si cet essai peut aider quelqu’un d’autre encore plus qu’il ne m’aide moi, cela vaut largement le coup ! »
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