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Un Prix Nobel veut dompter la fusion nucléaire avant 2030

Après avoir révolutionné la technologie moderne grâce à ses LED au nitrure de gallium, Shuji Nakamura espère désormais démocratiser la fusion nucléaire avant 2030.

En 2014, le chercheur américano-japonais Shuji Nakamura a été récompensé d’un Prix Nobel de Physique pour ses travaux sur les LED au nitrure de gallium. Ce triomphe a ouvert la voie aux LED modernes, qui ont été à l’origine d’une véritable révolution technologique et énergétique. Et désormais, ce grand visionnaire est de retour avec un projet encore beaucoup plus ambitieux. Son nouvel objectif : démocratiser la fusion nucléaire avant la fin de la décennie, rien que ça !

Comme son nom l’indique, la fusion nucléaire consiste à faire fusionner deux atomes en les faisant se percuter à une vitesse énorme. Et pour permettre à de très nombreux atomes d’atteindre une telle vélocité, de « simples » accélérateurs de particules sont loin de faire l’affaire. En fait, à l’heure actuelle, il n’existe qu’une seule approche concrète pour y parvenir : faire grimper la température. À l’échelle de l’atome, aucun objet n’est figé : ces objets vibrent sur place, et c’est d’ailleurs en mesurant l’intensité moyenne de cette agitation thermique que l’on calcule la température à notre échelle.

Deux approches pour un même objectif

L’un des principaux défis de la fusion nucléaire, c’est donc d’atteindre et de maintenir ces températures folles sur la durée. La nature sait déjà très bien le faire ; ce sont des réactions thermonucléaires de ce genre qui sont notamment le moteur des étoiles comme notre Soleil. Mais reproduire ce phénomène en laboratoire est extrêmement complexe d’un point de vue technique.

Pour y parvenir, les chercheurs explorent aujourd’hui deux pistes bien distinctes. La première approche, c’est le confinement magnétique, que l’on retrouve notamment au sein du fameux ITER. Elle repose sur des tokamaks, de grandes enclaves constituées d’électro-aimants surpuissants. Ces derniers permettent, en théorie, de chauffer et de confiner un plasma à plusieurs centaines de millions de degrés Celsius pour créer un substrat propice à la fusion nucléaire (voir notre dossier ci-dessous pour plus de détails).

D’autres institutions ont opté pour un concept assez différent : le chauffage par laser. Au lieu d’utiliser le phénomène du chauffage ohmique pour atteindre la température visée, il s’agit ici de bombarder une capsule de combustible en continu avec un faisceau laser extrêmement puissant.

Cette technique alternative a déjà produit des résultats très prometteurs. On peut par exemple citer l’exploit retentissant des chercheurs du LLNL américain ; en décembre 2022, ils ont réussi à atteindre la production nette d’énergie sur la dernière étape du processus (voir notre article ici).

A la recherche du laser idéal

Mais comme dans le cas des tokamaks de la catégorie d’ITER, cette approche est encore très loin d’être exploitable en conditions réelles. La principale limite concerne ce fameux laser.

Aujourd’hui, les lasers à haute fréquence les plus performants ne peuvent fonctionner que par intermittence à cause d’une montagne de contraintes techniques très difficiles à contourner. Par exemple, il est virtuellement impossible de les maintenir à une température suffisamment basse pour qu’ils puissent émettre pendant plus de quelques millisecondes d’affilé. De plus, il faut leur fournir une quantité d’électricité phénoménale, ce qui représente aussi un obstacle technique majeur pour bien des raisons.

À l’inverse, les lasers haute fréquence moins performants, qui sont capables de fonctionner en continu, sont très loin de pouvoir élever le matériel visé à une température suffisante pour déclencher la fusion nucléaire. On se retrouve donc dans un cul-de-sac technique ; à l’heure actuelle, les ingénieurs n’ont toujours pas réussi à produire un laser capable de développer une puissance suffisante en continu.

C’est là qu’intervient Nakamura. Au fil de ses décennies de recherche sur les LED, il a acquis une expérience immense sur les matériaux supraconducteurs. Selon Nikkei Asia, il espère désormais la mettre à profit à travers une nouvelle entreprise baptisée Blue Laser Fusion (BLF), fondée en novembre dernier. Son premier objectif est de créer un nouveau type de laser à haute fréquence capable de cocher toutes ces cases à la fois.

Ce qui est intéressant, c’est que BLF espère y parvenir dans un délai extrêmement court. La plupart des projets de fusion nucléaire les plus avancés, comme ITER, n’attendent pas de résultats concrets avant plusieurs décennies au plus tôt. La firme de Nakamura, en revanche, est nettement plus optimiste. Le but revendiqué est de produire un réacteur à fusion opérationnel d’1 GW, soit l’équivalent d’une sous-unité de centrale à fission moderne, le tout avant 2030. La première installation de test est même prévue pour 2024.

Presque aucun détail technique pour le moment

Malheureusement, puisque Blue Laser Fusion est une entreprise privée qui est en train de breveter sa technologie, le chercheur nobélisé reste très discret sur les détails techniques. Il est pour l’instant impossible de deviner quel genre d’avancée révolutionnaire rend la firme si optimiste.

Il y a tout de même un détail intéressant qui s’est glissé dans le rapport de Nikkei Asia : BLF compte utiliser un matériau inattendu pour générer la réaction de fusion. Le point commun des prototypes actuels, c’est que tout le monde a misé sur le même carburant, aussi bien dans le camp du confinement magnétique que du chauffage par laser. Ils cherchent toujours à faire fusionner deux isotopes de l’hydrogène, le tritium et le deutérium.

Les troupes de Nakamura, en revanche, comptent remplacer ce dernier par du bore. Il s’agit d’un métalloïde que l’on trouve dans des détergents et des matériaux en fibre de verre. Mais là encore, il est pour le moment impossible de savoir quelles propriétés de cet élément ils espèrent exploiter pour accélérer le processus à ce point.

Un projet très ambitieux à suivre du coin de l’œil

Comme toujours dans le domaine de l’énergie, et en particulier de la fusion nucléaire, il convient de mesurer ses attentes. Le projet est extrêmement ambitieux, et les délais annoncés le sont encore davantage.

Mais si Blue Laser Fusion s’approche effectivement d’une avancée aussi révolutionnaire qu’elle semble le suggérer, cela aurait un impact considérable sur la recherche en fusion nucléaire. S’ils réussissent à passer outre les contraintes liées aux performances des lasers, on peut tout à fait imaginer que de nombreuses autres institutions se focalisent davantage sur cette approche à l’avenir. Le confinement magnétique, qui reste l’approche la plus prometteuse pour le moment, pourrait par conséquent être relégué au second plan.

En l’absence de publication scientifique et de détails techniques, il est encore trop tôt pour tirer des conclusions éclairées sur la viabilité du projet. Mais il s’agit incontestablement d’une annonce très intéressante dont il conviendra de suivre les retombées avec une attention toute particulière. Car il y a fort à parier que ce seront des initiatives de ce genre qui nous apportent les pièces manquantes du puzzle de la fusion nucléaire, avec tout ce que cela implique pour le futur de l’humanité.

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9 commentaires
  1. Un pur fantasme, mais bien sur ce que tous les plus grands physiciens du monde font à ITER depuis 15 ans avec des milliards de $, lui il va le réussir en quelques mois ! N’importe quoi …

  2. Vous écrivez “c’est d’ailleurs en mesurant l’intensité moyenne de cette agitation thermique que l’on calcule la température à notre échelle”.
    Je pensais que c’était l’inverse : en mesurant la température à notre échelle on en déduit la vitesse de mouvement des petites particules comme les molécules et les atomes.
    Comment feriez-vous pour mesurer directement la vitesse des petites particules ?

  3. Vous écrivez que les “…tokamaks […] permettent, en théorie, de chauffer et de confiner un plasma…”.
    Pourquoi “en théorie” ? Il me semblait lire dans différents autres articles qu’on crée et confine du plasma depuis longtemps dans les tokamaks. Aurais-je mal interprété ces articles ?

  4. Vous auriez dû un peu expliquer le “chauffage ohmique”, ce n’est pas trivial, si vous vouliez qu’on comprenne votre article pourtant intéressant.
    J’ai donc dû chercher : https://www.iter.org/fr/sci/plasmaheating
    Cet article sur ITER dit d’ailleurs que ce chauffage ne suffit pas et qu’il faut un autre chauffage extérieur.

  5. On dirait le papa qui s’adresse à des enfants :
    – “une montagne de contraintes techniques très difficiles à contourner” : le mot “difficile” n’a aucun sens dans une discussion technique ou scientifique, soit il y a peu de travail à fournir pour s’affranchir des contraintes (et non à les contourner) soit il y a beaucoup de travail.
    – “un obstacle technique majeur pour bien des raisons” : il fallait s’arrêter à “majeur”, sinon “pour bien des raisons” fait condescendant alors que vous ne les connaissez pas plus que vos lecteurs. C’est comme “pour faire simple” qu’il me semble avoir lu dans un autre de vos articles, tout aussi condescendant.

    Vous dites aussi “il est virtuellement impossible”, mais virtuellement on peut tout faire, je pense que vous pouliez utiliser le mot pratiquement.

  6. Les critiques permettent de progresser…
    Journaliste scientifique c’est loin d’être simple, c’est différent de Voici ou Gala.
    Pour ce Nobel, trouver des financements pour une startup est assez facile. Se faire rémunérer grassement et rapidement pour pomper les financements est l’alpha et l’oméga de projets bidons.
    Ce n’est pas parce qu’on est Nobel que l’on n’est pas avide.
    On a vu aussi des Nobel après quelques années complètement déconnecté des réalités.

  7. L’utilisation du bore est en effet révélatrice. Nakamura veut probablement réaliser un réacteur à fusion aneutronique dont l’émission de neutrons est moins de 1 % de l’énergie totale. Ceci représente un gros avantage à cause des effets du bombardement neutronique sur l’enceinte d’un réacteur et une réduction des coûts grâce à la conversion directe en électricité de l’énergie des produits de fusion sous forme d’ions. Or justement ce type de réaction impliquant du bore exige une température très élevée (des milliards de kelvins) ce que pourrait fournir les nouveaux lasers de Nakamura

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