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Le James Webb a-t-il repéré les premières « étoiles noires » ?

Une équipe d’astrophysiciens suggère qu’une nouvelle catégorie d’étoiles alimentées par l’annihilation de la matière noire pourrait permettre de lever certaines incohérences qui pèsent de tout leur poids sur les modèles cosmologiques actuels.

Lorsque nous pensons aux étoiles, c’est naturellement une immense sphère ardente alimentée par des réactions de fusion qui vient à l’esprit. Mais ces réactions thermonucléaires ne sont peut-être pas le seul phénomène capable de fournir son énergie à un astre. Des chercheurs viennent en effet de proposer que l’Univers précoce pourrait être peuplé de véritables « étoiles noires ».

Le cas échéant, cela pourrait permettre d’expliquer des incohérences troublantes dans les observations du James Webb Space Telescope, mais aussi de faire de grands progrès sur l’étude de la mystérieuse matière noire.

La mission de cette merveille d’ingénierie à 10 milliards de dollars, c’est de remonter aux origines de l’univers observable en rapportant des images des corps célestes les plus lointains jamais identifiés. La lumière émise par ces objets a forcément dû voyager pendant plusieurs milliards d’années avant de nous parvenir, et c’est une aubaine pour les astronomes.

Pour l’illustrer, prenons deux personnes situées de part et d’autre de la planète, par exemple en France et en Nouvelle-Zélande. Imaginez que la première envoie par la Poste un joli faire-part avec une photo d’un nouveau-né, quelques heures après sa naissance. Le courrier mettra un certain temps à arriver à destination — mais l’image ne sera évidemment pas mise à jour en cours de route. Le deuxième correspondant recevra donc un cliché légèrement daté qui ne représente pas l’enfant à l’heure de la réception, mais peu après sa venue au monde.

Ce concept s’applique également à l’astronomie, à une échelle bien plus importante ; dans ce cas, notre nourrisson est une jeune galaxie dont la photo – ou plutôt le signal lumineux brut — a voyagé non pas pendant quelques jours, mais pendant des milliards d’années. Les données récupérées par un télescope permettent ainsi aux astronomes d’observer des objets tels qu’ils étaient à l’époque de l’Univers précoce. C’est une véritable machine à remonter le temps. Plus un instrument est capable d’observer des objets lointains, plus on peut se rapprocher des origines de l’Univers.

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© NASA

Le JWST titille les modèles cosmologiques

Puisque le JWST est capable de capter des signaux plus lointains que n’importe quel autre télescope, il a pu identifier plusieurs galaxies à l’âge canonique. Elles semblent être apparues à peine quelques centaines de millions d’années après le Big Bang. Cela pourrait sembler énorme, mais c’est très peu par rapport à l’âge de l’Univers, qui est généralement estimé à 13,7 milliards d’années.

Les observations de ce genre sont de véritables trésors pour les astronomes qui étudient l’univers précoce ; avant l’entrée en piste du JWST, ils n’avaient jamais eu l’occasion de remonter aussi loin dans le temps. Mais elles ont aussi fait émerger des incohérences que les spécialistes ne parviennent pas encore à expliquer.

Ces images de galaxies âgées de plus de 13 milliards d’années devraient représenter des bébés galaxies assez chétives par rapport aux galaxies plus proches, dont nous avons donc des images bien plus récentes. Mais ce n’est pas toujours le cas. Certains de ces signaux correspondaient à des objets extrêmement massifs. Selon le modèle cosmologique ΛCDM qui sert aujourd’hui de référence, de tels objets auraient besoin de plusieurs milliards d’années d’évolution pour arriver à ce niveau de maturité — une durée incompatible avec l’âge théorique de la “photo”.

Pour reprendre l’exemple ci-dessus, c’est un peu comme si le faire-part du nourrisson contenait une photo d’un trentenaire barbu. Cela signifie que si ces masses sont correctes, il y a forcément quelque chose qui cloche dans le modèle cosmologique qui permet d’interpréter ces informations. Et ce mystère commence à devenir particulièrement pesant.

Des étoiles noires pour expliquer l’inexplicable

C’est là qu’intervient l’équipe de Cosmin Ilie, astrophysicien à l’université américaine de Colgate. Ces chercheurs se sont penchés sur une idée aussi exotique que fascinante qui pourrait permettre d’expliquer une partie de ces incohérences. Selon eux, ces signaux pourraient provenir d’une classe d’étoiles titanesques, mais encore hypothétiques. Leur particularité, c’est que contrairement à notre Soleil et à ses congénères, leur moteur ne serait pas la fusion nucléaire. À la place, il s’agirait de l’annihilation de la matière noire.

Il s’agit d’une substance encore très énigmatique, mais paradoxalement très importante dans le modèle standard de la physique des particules. Elle n’a jamais été observée directement. Si ce concept a été développé, c’est avant tout pour combler une grosse lacune théorique. Elle permet d’expliquer les propriétés de nombreuses structures cosmologiques qui se comporteraient très différemment sans l’influence de cette matière qui nous semble invisible et inerte, d’où son nom.

Le modèle le plus populaire pour décrire le comportement de la matière noire repose sur un concept baptisé Weakly Interacting Massive Particles, ou WIMP. Selon cette conception, la matière noire serait composée de particules qui ont tendance à snober la matière classique, mais qui interagissent de manière beaucoup plus marquée entre elles. Lorsqu’elles entrent en collision, elles s’annihileraient mutuellement.

La théorie suggère que ce phénomène générerait de grandes quantités de chaleur et d’hydrogène. À grande échelle, dans un système où la matière noire est très concentrée, cette dynamique pourrait s’autoentretenir. Cela générerait de véritables fournaises cosmiques capables de produire une énergie phénoménale. Des étoiles noires, en somme.

Sur le papier, un seul de ces objets serait capable de rivaliser avec des galaxies entières en termes de luminosité. Ils seraient aussi largement plus massifs qu’une étoile classique. « Les étoiles noires pourraient théoriquement atteindre plusieurs millions de fois la masse de notre soleil, et être jusqu’à 10 milliards de fois plus brillants », explique le communiqué de l’Université du Texas.

Une piste séduisante…

Les trois corps au centre de cette étude ont initialement été identifiés par le JWST en décembre 2022. Tous ces signaux ont été datés entre 320 et 400 millions d’années après le Big Bang. Ils renvoient donc à des objets parmi les plus anciens jamais identifiés. Pourtant, ils sont aussi extrêmement brillants et massifs — beaucoup trop pour coller aux modèles cosmologiques.

Trois étoiles noires potentielles
JADES-GS-z11-0, z-112-0 et z-130 ont initialement été considérés comme des galaxies lorsque le Webb les a repérés; il pourrait en fait s’agir d’étoiles noires. © NASA/ESA

« Lorsqu’on se penche sur les données, il y a deux possibilités pour ces objets », explique Katherine Freese, astrophysicienne à l’Université du Texas. « La première, c’est qu’il s’agisse effectivement de galaxies qui contiennent des milliards d’étoiles ordinaires. » Une explication qui ne permettrait pas vraiment d’avancer, puisque ces caractéristiques sont attribuées à des galaxies bien plus matures.

« L’autre, c’est que nous avons affaire à des étoiles noires », suggère-t-elle. Si cette théorie est si séduisante, c’est qu’il pourrait s’agir d’un beau début de piste pour lever les incohérences mises en évidence par le Webb. On peut imaginer qu’un amas d’étoiles noires pourrait être suffisamment brillant et massif pour expliquer ces observations inattendues, contribuant ainsi à la résolution de l’énigme.

Si l’interprétation des chercheurs est confirmée, il s’agira aussi de la première observation concrète d’une véritable étoile noire. Cela représenterait un progrès très important pour les astronomes.

Mais le plus intéressant, c’est qu’il s’agirait du tout premier élément tangible où les astronomes pourraient enfin étudier la nature de la matière noire de façon très concrète. Et des résultats révolutionnaires pourraient rapidement émerger de ce grand laboratoire à ciel ouvert.

…qui reste à approfondir

Pour l’instant, tout cela ne relève encore que de la théorie. Et les chercheurs expliquent sans détour qu’il convient de rester prudent. « L’hypothèse la plus probable, c’est que le modèle standard a besoin d’être ajusté. Quelque chose d’entièrement nouveau, comme ce que nous proposons ici, sera toujours moins probable », insiste Freese.

Mais il y a tout de même de quoi être enthousiaste. « Si certains de ces objets qui ressemblent à des galaxies sont effectivement des étoiles noires, les simulations sur la formation des galaxies correspondraient mieux aux observations », conclut-elle. Il ne reste plus qu’à attendre que des astronomes braquent à nouveau le JWST sur ce trio mystérieux pour tirer cette affaire au clair.

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