Le 1er juillet, une nouvelle mission majeure de l’ESA a quitté la Terre. Euclid, un observatoire construit par Thales Alenia Space qui est consacré l’étude de l’énergie noire et de la matière noire, a été lancé avec succès par SpaceX. Il va tenter de répondre à une question fondamentale de la cosmologie : de quoi est fait notre Univers ?
Pour y parvenir, Euclid va partir s’installer sur son perchoir spatial au point de Lagrange L2 du système Terre-Soleil. Il y parviendra au début de l’année prochaine, et c’est à cette date que vont commencer les observations.
Ces points de Lagrange sont des endroits très particuliers de l’espace. Ils existent grâce aux mouvements d’un objet massif en orbite autour d’un autre corps céleste, comme la Terre autour du Soleil. En substance, ce sont des points d’équilibre où les champs de gravité des deux corps se compensent.
Fonctionnellement, ces points de Lagrange servent de points d’ancrage. Un objet plus petit, comme un satellite, peut orbiter autour de ce point comme il tournerait autour d’une planète. Il peut ainsi rester quasiment immobile par rapport aux deux corps célestes qui définissent ces points de Lagrange. Un avantage non négligeable pour la stabilité des télescopes spatiaux.
Si cela vous rappelle quelque chose, c’est parce qu’Euclid ne sera pas le seul engin à s’installer à cet endroit situé à environ 1,5 million de kilomètres de la Terre. Il y rejoindra un autre appareil, et pas des moindres : le James Webb, le télescope spatial le plus performant de l’Histoire.
Malgré sa proximité, le futur colocataire du Webb a hérité d’une mission assez différente. Son télescope d’1,2 mètre de diamètre permettra à Euclid de cartographier la distribution de la matière dans l’Univers pour en produire la carte 3D la plus précise à ce jour. Cela permettra aux chercheurs d’étudier deux éléments qui mettent l’astronomie à rude épreuve depuis des décennies : l’énergie noire et la matière noire.
Ces deux termes font référence à des concepts encore assez nébuleux et pas parfaitement définis. Leur point commun, c’est qu’ils permettent d’illustrer que la science est encore loin de comprendre tout ce qui se passe dans notre Univers.
La face cachée de notre Univers
« Nous partons d’une situation un peu embarrassante », expliquait Giuseppe Racca, responsable du projet à l’ESA, lors d’un briefing la semaine dernière. « On sait qu’environ 5 % de l’univers est composé des mêmes atomes et particules qui nous constituent tous. Mais tout le reste, ces 95 %, sont faits d’autres choses que l’on ne connaît pas vraiment ». Un constat qui force l’humilité. Et cela mérite bien une enquête plus poussée.
Les physiciens ont donc imaginé deux concepts pour combler ses lacunes. Le premier est la matière noire. La théorie suggère qu’elle est présente en très grande quantité dans le cosmos. Mais elle est aussi inerte ; elle ne semble pas interagir ni avec la matière normale ni avec les ondes électromagnétiques. Il est donc très difficile de l’étudier convenablement.
Jusqu’à présent, elle n’a jamais été observée directement. On sait seulement que de très nombreuses structures cosmologiques se comporteraient très différemment sans l’influence de cette matière invisible. Une grosse lacune, sachant qu’il s’agit d’une des clés de voûte des théories actuelles.
En parallèle, il y a l’énergie noire. Elle a été imaginée pour expliquer un phénomène qui laisse les chercheurs perplexes depuis qu’Edwin Hubble a démontré l’expansion de l’Univers, en 1929. 70 ans plus tard, une nouvelle équipe a prouvé que l’expansion de l’univers accélère au fil du temps. En d’autres termes, non seulement les autres corps célestes s’éloignent, mais ils le font de plus en plus rapidement.
Cette découverte a valu un Prix Nobel à ses trois instigateurs, Saul Perlmutter, Brian Schmidt et Adam Reiss. Mais elle a aussi laissé la communauté scientifique perplexe. Car selon les modèles en vigueur à l’époque, cette expansion devrait pourtant ralentir au fil du temps sous l’effet de la gravitation.
C’est pour tenter d’expliquer cette incohérence que les trois scientifiques ont introduit la notion d’énergie noire. Il s’agit d’une force jamais identifiée de façon concrète, mais dont on peut prouver qu’elle est omniprésente dans le cosmos. Les spécialistes considèrent qu’elle représente environ 70 % de l’énergie totale de l’Univers. Son influence serait telle qu’elle surpasserait celle de la gravitation, conduisant ainsi à cette fameuse expansion.
Cap sur la Théorie du Tout ?
Le moindre progrès concret sur la nature de la matière ou de l’énergie noire pourrait donc avoir des répercussions phénoménales. Ces informations sont susceptibles de bouleverser considérablement notre compréhension du monde qui nous entoure. Et ce de la plus grande à la plus petite des échelles.
Certains chercheurs espèrent que ces travaux feront émerger certaines pièces du plus grand puzzle scientifique de tous les temps. Il s’agit de la Théorie du Tout, but ultime de l’illustre Albert Einstein.
Son objectif, c’était de trouver une théorie unique et globale qui permettrait d’expliquer tous les phénomènes physiques documentés. Mais pour espérer y parvenir, il faut d’abord combler le fossé béant entre deux poids lourds de la physique moderne : la relativité générale et le modèle standard de la physique des particules.
Ces deux théories décrivent extrêmement bien les phénomènes que l’on observe dans notre monde. Elles servent d’ailleurs de base à une grande partie de notre science moderne. Mais jusqu’à preuve du contraire, elles demeurent fondamentalement irréconciliables sur certains points (voir ci-dessous).
Une fois que les astrophysiciens en sauront davantage sur la matière noire et l’énergie noire, il sera peut-être possible d’établir un pont entre la relativité et la physique quantique. Dans l’idéal, cela permettra enfin d’entrevoir les contours de cette fameuse Théorie du Tout.
Cela représenterait incontestablement un séisme sans précédent dans cette discipline. Il n’est pas exagéré de dire que cela révolutionnerait complètement notre compréhension de l’Univers. Les chercheurs attendent donc les premières contributions d’Euclid avec beaucoup d’impatience.
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