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Grâce aux « particules fantômes », les chercheurs redécouvrent la Voie Lactée

Des chercheurs avaient promis une “annonce majeure” au sujet des mystérieux neutrinos ; c’est désormais chose faite avec cette carte de la Voie lactée unique en son genre.

À première vue, cette vue de la Voie lactée n’a rien de très impressionnant. Après tout, de nombreux engins spatiaux sont aujourd’hui capables de capturer des clichés bien plus précis que cette image sombre et floue ; il n’y a qu’à poser les yeux sur les superbes photos du James Webb pour s’en convaincre.

Pourtant, sous ses airs insignifiants, elle représente une avancée majeure. Ce qu’on observe là n’est ni de la lumière visible, ni un rayonnement ultraviolet, ni de l’infrarouge, pas plus que des rayons X ou des ondes radio ; cette image de la Voie lactée est composée entièrement de neutrinos ! Une grande première qui pourrait partiellement changer le regard des astronomes sur notre galaxie.

En effet, ces neutrinos sont considérés comme des pièces très importantes du grand puzzle de l’Univers. Les astrophysiciens leur attribuent notamment un rôle majeur dans les supernovas. Il s’agit d’explosions cataclysmiques qui surviennent à la fin du cycle de vie de certaines étoiles.

Ces événements sont à l’origine d’un grand brassage de matériel qui façonne le cosmos depuis la nuit des temps. En d’autres termes, l’existence du Soleil, de la Terre, et de la vie telle qu’on la connaît est intimement liée à la dynamique des neutrinos. Il s’agit donc de sujets d’étude très importants.

Des « particules fantômes » particulièrement élusives

Le problème, c’est que ces neutrinos sont aussi quasiment insaisissables. Ces particules subatomiques présentent une masse infinitésimale. Elles sont aussi électriquement neutres. Et surtout, elles n’interagissent quasiment jamais avec la matière avoisinante. Selon le CERN, « seul un neutrino sur dix milliards traversant la Terre parvient à interagir avec un atome ».

Paradoxalement, ils sont donc très difficiles à détecter, alors qu’ils sont pourtant produits en abondance par les réactions thermonucléaires des étoiles. Pour cette raison, les neutrinos sont donc surnommés « particules fantômes ».

C’est là qu’intervient IceCube, un observatoire pas comme les autres. Il est composé d’un grand réseau de détecteurs enchâssés au milieu de milliards de tonnes de glace dans les profondeurs de l’Antarctique. Cet agencement permet de maximiser les chances de détecter un neutrino, et d’en calculer l’énergie et la trajectoire.

Mais même avec une installation aussi sophistiquée, la chasse aux neutrinos n’a rien d’un jeu d’enfant. En plus de l’aspect technique, cela demande aussi de gros efforts d’analyse et de traitement des données.

Une aiguille dans une botte de foin cosmique

Selon Jim Madsen, l’un des responsables du programme qui a écrit à ce sujet pour The Conversation, IceCube enregistre environ 2600 signaux chaque seconde — et la plupart d’entre eux sont bons à jeter.

En effet, tous les neutrinos ne proviennent pas des confins de l’espace. Certains d’entre eux sont produits à proximité de la Terre par le rayonnement cosmique. C’est un flux de particules à haute énergie qui circule dans le milieu interstellaire. Lorsque ces dernières percutent l’atmosphère terrestre, cela déclenche des interactions qui provoquent à leur tour un véritable déluge de particules subatomiques ; on parle alors de cascade, ou de gerbe atmosphérique.

Schéma d'une cascade atmosphérique
Schéma d’une cascade atmosphérique produite par un proton. © Wikimedia Commons – Lacosmo / Beetjedwars

Ce phénomène a tendance à produire énormément de neutrons. Mais puisqu’ils ont été produits au voisinage de la Terre, ils n’intéressent pas particulièrement les chercheurs. Ces derniers se concentrent plutôt sur les neutrinos qui proviennent de la Voie lactée, ou de régions encore plus éloignées. Et ceux-ci sont nettement plus rares. Sur les quelque 80 milliards de signaux détectés chaque année par IceCube, seules quelques centaines sont d’origine galactique ou extragalactique. Et cela rend la détection très délicate.

« Trouver ce genre de neutrinos, plutôt que ceux des rayons cosmiques, c’est comme essayer de discerner une image en filigrane dans un portrait recouvert par plusieurs couches de peinture », explique Madsen. « Il faut faire attention à ne pas retirer ce qu’on cherche à mettre en évidence. »

L’équipe à l’origine de ces travaux a donc dû redoubler d’ingéniosité pour filtrer toutes ces données. Ils ont classé les signaux en fonction de leur énergie et de la répartition des impacts sur la glace qui entoure les détecteurs. Ils ont ensuite croisé ces informations avec celles d’autres études. Enfin, ils ont utilisé des méthodes à base de machine learning pour améliorer ces reconstructions.

Une nouvelle façon d’observer l’Univers

Au fil des observations, ils ont pu affiner progressivement leurs critères pour obtenir l’image présentée aujourd’hui : la toute première carte de la Voie lactée constituée uniquement de neutrinos.

C’est un grand succès que la communauté des astrophysiciens a applaudi des deux mains. « Nous avons vu la Voie lactée dans de nombreuses longueurs d’onde de lumière — comme les ondes radio et les rayons gamma — mais depuis la nuit des temps, il s’agissait toujours d’un rayonnement électromagnétique », explique Naoko Kurahasi Neilson, une physicienne d’IceCube interviewée par la BBC. « C’est la première “carte” de notre galaxie qui n’est pas basée sur des rayonnements électromagnétiques comme la lumière », se réjouit-elle.

l'IceCube Neutrino Observatory en Antarctique
© IceCube Neutrino Observatory

Ces travaux auront sans doute des retombées importantes. En effet, cela fait des décennies que les astrophysiciens tentent d’exploiter ces « particules fantômes » pour observer notre Univers sous un angle entièrement nouveau. On peut considérer cette carte comme la première manifestation concrète de ces efforts. En d’autres termes, les astrophysiciens sont en train de poser les bases d’une toute nouvelle façon d’étudier le cosmos.

Et le plus intéressant, c’est que nous ne sommes qu’au début de cette aventure. Forts de ce grand succès, les chercheurs d’IceCube s’apprêtent à passer à la vitesse supérieure. Ils prévoient une grande extension à l’horizon 2030. Ce projet va multiplier la surface du réseau de détecteurs par huit  — avec tout ce que cela implique pour l’astrophysique. « Avec l’évolution de l’astronomie à base de neutrinos, nous aurons bientôt une toute nouvelle lentille à travers laquelle nous pourrons observer l’Univers », conclut Naoko Kurahashi Neilson.

Le texte de l’étude est disponible ici.

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Source : Phys.org

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